Tribune
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Publié le 16 Juin 2011

Des soldats syriens racontent leurs défections

Parmi le flot de réfugiés syriens arrivés en Turquie au cours des derniers jours se trouvent des soldats ayant déserté. Le plus illustre d'entre eux, le colonel Hossein Harmouch de la 11e division, a annoncé sa défection et celles de soldats sous ses ordres, dans une vidéo. "Notre mission est désormais de défendre les manifestants non armés, qui demandent la liberté et la démocratie", dit-il.




Il avance trois motifs : "Premièrement, le massacre de civils désarmés dans toute la Syrie. Deuxièmement, l'implication d'officiers syriens et d'officiers de second rang dans les raids contre des villes et villages pacifiques [...]. Troisièmement, le massacre d'enfants, de femmes et de personnes âgées et la découverte de charniers, ainsi que la perpétration de massacres de grande ampleur, notamment celui de Jisr Al-Choughour le 4 juin 2011".



La journaliste Rania Abouzeid relate dans le magazine Time sa rencontre avec le colonel Harmouch. Le colonel a reçu des "ordres clairs" : quitter sa base de Homs et "ratisser les villes" en commençant par Al-Serminiyye et en continuant 5 km plus au nord à Jisr Al-Choughour.



"On nous a dit que nous faisions cela pour capturer des gangs armés mais je n'en ai vu aucun. J'ai vu des soldats tirant sans distinction sur des gens, tout en les pourchassant, brûlant leurs champs et coupant leurs oliviers. Il n'y a pas eu de résistance dans les villes. J'ai vu des gens qui s'enfuyaient à pied dans les collines être tués d'une balle dans le dos."



C'est une fois arrivé à Al-Serminiyye, le 3 juin, que le colonel Harmouch a décidé que "trop, c'est trop". "Quand nous les avons vu bombarder la ville, bombarder sans distinction, j'ai décidé de faire défection. Je connaissais mes hommes. Ce sont des conscrits pour la plupart. Je sais que si l'opportunité leur était donnée - et la garantie qu'ils ne seraient pas tués pour avoir fait défection- les trois quarts d'entre eux partiraient, mais la peur les gardait à leur poste". Trente l'ont suivi.



Sur le chemin vers Jisr Al-Chouhour, ils ont été rejoints par d'autres soldats jusqu'à être 120. Ils sont arrivés dans la ville le 5 juin, quand des centaines de manifestants ont été tués. "A Jisr Al-Choughour, nous avons décidé de défendre les gens jusqu'au dernier moment, mais nous avions des armes légères, des fusils. Ils avaient des tanks. Nous avons mis au point des pièges, une embuscade. Cela nous a laissé du temps pour évacuer des civils."



Une trentaine de soldats ont alors approché les soldats séditieux, disant vouloir les rejoindre mais leur ont tiré dessus, poursuit le colonel. Certains se sont enfuis dans les montagnes, d'autres en Turquie.



Le massacre de Jisr al-Choughour



Le témoignage du colonel Harmouch éclaire d'un jour nouveau ce qui a eu lieu à Jisr Al-Choughour, le 5 juin. Des habitants et des militants des droits de l'homme avaient rapporté que 120 membres des forces de sécurité avaient été tués dans une mutinerie avec des soldats loyalistes. Un nombre de victimes avancé par le gouvernement syrien, qui a attribué leur mort à des gangs armés.



Son témoignage remet en cause la thèse de la "mutinerie", à laquelle n'adhère pas, par ailleurs, le blogueur syrien Ammar Abdoulhamid. Sur son blog Syrian Revolution Digest, l'opposant politique qui vit en exil estime ainsi : "alors, c'est ça la taille de la mutinerie : 100 soldats armés légèrement, avec peu ou prou accès à des munitions et fournitures !". Dans un autre post, l'opposant politique qui vit en exil conteste par ailleurs le nombre de 120 victimes avancé.



Pour lui, "la vérité est simple : il y a eu des défections, et il y a eu un bref affrontement entre quelques soldats ayant fait défection et l'armée de loyalistes, qui s'est révélée être plus meurtrière côté séditieux que côté loyalistes". Une analyse que partage également Joshua Landis, sur son blog Syria Comment, qui parle également de défections encore limitées dans les rangs de l'armée.



Pour Ammar Abdoulhamid, ces événements ne peuvent être appréhendés que d'une seule façon. "Ce qui arrive à Jisr Al-Choughour aujourd'hui est exactement ce qui est arrivé à Rastan, la semaine dernière et à Deraa, il y a quelques semaines : une vaste opération militaire contre une population majoritairement désarmée [...]. C'est basiquement un massacre de sang-froid perpétré par des tanks et hélicoptères."



Photo : D.R.



Source : le Monde