Il faut distinguer la théorie et les pratiques. Côté pratiques, il y a eu des hauts et des bas au cours de ces soixante ans. On a vu bien des crimes, des tortures et des génocides. Mais les observateurs s’accordent à dire qu’il y a du mieux, avec moins de régimes dictatoriaux, plus de liberté de parole, et des avancées du droit sur les cinq continents.
Côté théorie, qu’en est-il ? Les droits de l’homme, qui ont été formulés par les Occidentaux, sont-ils devenus véritablement universels ? A en croire Louise Arbour, ancien haut-commissaire de l’ONU pour les droits de l’homme, il n’en est rien. “Aujourd’hui, les Etats ne semblent pas faire preuve de la même volonté que celle qui les animait au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour affirmer fortement l’universalité de nos droits et de nos libertés”, précisait-elle il y a un an dans Le Temps.
Dans la contestation des droits de l’homme, il y a toujours l’idée que ce sont là des valeurs occidentales qui ne correspondent pas aux valeurs islamiques, asiatiques, etc. Amartya Sen a démonté cette idée en rappelant que de grands dirigeants indiens, Ashoka au IIIe siècle av. J.-C. ou Akbar au XVIe siècle, ont défendu des notions de pluralisme, de tolérance et de raison – bien avant les Lumières. Mais ce rappel n’empêchera pas deux résistances majeures de se faire entendre : d’une part, le relativisme culturel, qui juge que parfois il vaut mieux donner à manger aux gens que leur assurer des droits civils ; d’autre part, ce qu’on peut appeler la concurrence des idéaux. Face à ceux qui déclarent les droits de l’homme fondamentaux, on trouvera des institutions, religieuses notamment, pour affirmer la primauté des valeurs transcendantes. Et c’est précisément au nom de ces valeurs que les auteurs des attentats de Bombay ont agi, au mépris de l’habeas corpus, premier des droits de l’homme. »