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Par Marc Knobel
Jean-Pierre Raffarin rentre d’Israël après avoir effectué une visite officielle, les 15 et 16 mars 2005. Ce déplacement avait été annoncé par le Premier ministre lui-même, lors du dîner du CRIF qui avait lieu le samedi 12 février 2005, à Paris. Le Premier ministre avait alors déclaré qu’il était très « heureux » de « se rendre pour la première fois en Israël, dans cet État ami. » Le précédent déplacement d’un Premier ministre en Israël remontait au mois de février 2000. A l’époque, Lionel Jospin avait effectué une visite officielle de quatre jours en Israël et dans les territoires palestiniens.
Lors de son voyage en Israël, Jean-Pierre Raffarin n'a pas lésiné sur les démonstrations d'amitié. Le Premier ministre a exprimé, avec une grande émotion, son attachement au devoir de mémoire et il a rendu un hommage répété et émouvant aux victimes du nazisme. Il a ainsi participé à l’inauguration du nouveau mémorial de la Shoah, Yad Vashem. Par ailleurs, il a fait preuve d’une grande détermination lorsqu’il a dénoncé avec force les actes antisémites en France, que ce soit au Mémorial de la déportation française de Roglit ou à Yad Vashem. Ce voyage a été également marqué par une rencontre avec Ariel Sharon, son homologue israélien et une réception avec la communauté française en Israël. Enfin, il n’a pas cessé de marteler le même message : les liens historiques qui unissent la France et l'Etat hébreu sont considérables et indéfectibles. Le CRIF se félicite du succès de ce déplacement qui confirme l’embellie des relations entre la France et Israël.
Jean-Pierre Raffarin parle des relations bilatérales et de son voyage avant son départ en Israël :
Avant son départ, le Premier ministre s’est exprimé le dimanche 13 mars sur Radio J. Il a déclaré éprouver « une joie profonde » de se rendre « à Jérusalem ». « Au-delà de ce moment de mémoire (...) C’est aussi l’occasion de dire aux peuples d’Israël l’amitié du peuple français », a également déclaré le Chef du Gouvernement.
Sur l’antenne de Radio J, Jean-Pierre Raffarin a expliqué que « dans des circonstances particulièrement pressentes, prenantes, poignantes », il se rendait à Jérusalem, expliquant en ces termes son voyage : « c’est d’abord donc un voyage de mémoire, un voyage qui dénonce les horreurs, cette période de notre civilisation où finalement les écluses du mal ont été ouvertes, donc je me prépare à vivre des moments de très grandes émotions, de gravité. Alors cette mémoire nous allons être de nombreux français à y participer, beaucoup de personnalités du monde entier seront présentes et j’espère que ce sera l’occasion d’afficher, d’affirmer cette victoire sur l’horreur qui est au fond l’œuvre civilisatrice. C’est finalement ce que porte un peu la construction européenne, cette victoire sur la guerre, cette victoire sur l’hiver » (http://www.premier-ministre.gouv.fr).
Au-delà de ce moment de recueillement et de mémoire, le Premier ministre a expliqué en quoi ce voyage serait l’occasion de dire « au peuple d’Israël » « l’amitié du peuple français » : « C’est l’occasion de renforcer notre coopération bilatérale qui a beaucoup progressé depuis la venue du président Katsav à Paris en 2004, Michel Barnier s’est rendu deux fois en Israël, nous avons des projets et je souhaite renforcer cette coopération bilatérale. Et puis c’est aussi le moyen de dire, c’est le moment de dire que la France croit à cet espoir de paix qui apparaît dans la région et c ‘est aussi l’occasion de dire combien nous sommes disponibles nous Français mais nous Européens aussi pour participer à cette œuvre de paix. »
A la remarque de Gérard Leclerc, de France2, qui rappelait que dans les relations entre la France et Israël, il y a souvent eu beaucoup « d’incompréhensions », le Premier ministre a répondu qu’il ne voulait pas polémiquer : « nous avons des discussions avec nos amis israéliens, nous avons des désaccords, nous avons une amitié de fond, je crois que c’est ça la politique internationale, nous avons forcément des désaccords, avec les amis américains, les alliés américains, nous avons des désaccords, mais nous avons une alliance de fond, une proximité, il y a dans les relations entre Israël et la France des relations de passion, il y a des relations d’histoire, il y a des relations qui à tout jamais font que nous sommes des peuples frères. Alors nous devons naturellement étudier les positions des uns et des autres, faire preuve de compréhension, l’histoire de la politique française est une histoire qui a toujours été celle de la proximité avec Israël pour son existence même et pour sa sécurité. Alors c’est clair que nous avons toujours soutenu la position en qui concerne l’Etat palestinien, de manière à ce qu’il soit viable, et durable, et donc dans cette région du monde, nous voulons un équilibre de paix, donc c’est vrai qu’il y a eu de temps en temps des tensions »
Le Premier ministre a insisté sur le fait que, depuis quelque temps, et notamment depuis la visite du président Katsav à Paris, « je pense que les positions se rapprochent et en tout cas dans un moment où l’espoir de paix prend quelques consistances, le devoir de la France, le devoir de l’Europe est de participer à la concrétisation de cette paix. Ce qu’a fait monsieur Sharon à Gaza est courageux, ce sont des initiatives qui politiquement sont difficiles, je le mesure, la France la mesure, nous avons aussi mesuré la prise d’autorité je dirais de monsieur Abbas et donc il y a dans cette nouvelle donne une perspective de paix que je ne veux pas compromettre par quelques polémiques que ce soit. » (http://www.premier-ministre.gouv.fr).
Le Premier ministre rend hommage aux Juifs déportés depuis la France, au site de Roglit :
Le mardi 15 mars au matin, le Premier ministre qui est accompagné par Jean-François Copé, ministre du budget et de la réforme budgétaire, débute sa visite en Israël par le site de Roglit, à une trentaine de kilomètres à l’Ouest de Jérusalem. Le mémorial, consacré aux Juifs déportés depuis la France, est constitué de dizaines de milliers d’arbres plantés sur une colline en la mémoire de chaque victime et d’un mur où sont inscrits les 76.000 noms. Jean-Pierre Raffarin leur a rendu hommage en plantant un olivier et en ravivant la flamme de la mémoire.
Le Chef du Gouvernement a souligné la « dette imprescriptible » de la France envers les Juifs devant une assistance composée, notamment, de Simone Veil, du cardinal Jean-Marie Lustiger, Serge Klarsfeld, président de l’association Fils et Filles des Déportés de France, de Richard Prasquier, Président de Yad Vashem France, et de dizaines de juifs français installés en Israël.
« La France a contracté une dette imprescriptible qui l'oblige, qui nous oblige. La vérité, même si elle peut faire mal, doit être dite et regardée en face », a-t-il déclaré lors de la cérémonie. Il a souligné que « le devoir de mémoire était aussi un devoir d'action. ».
« Une attaque contre un Juif est une attaque contre la France elle-même (...) Vous savez avec quelle vigueur la France a réagi à la recrudescence de l'antisémitisme sur son sol », a poursuivi le Premier ministre. « L'injustice, la colère, la révolte hantent ces lieux. La France, terre des droits de l'Homme, a parfois été la complice de cette infamie. Honte à tous ceux qui ont choisi la complicité avec les bourreaux », a-t-il martelé (AFP, 15 mars 2005).
« La France est heureuse d'avoir joué son rôle dans la naissance d'Israël. Nous étions à vos côtés lors de vos premiers pas. La France entend être à vos côtés aujourd'hui aussi », a-t-il martelé. « J'ai le sentiment que la relation avec nos amis israéliens se renforce de jour en jour », a-t-il insisté, une façon de reconnaître qu'elle n'a pas toujours été au beau fixe, remarque L’Express (15 mars 2005).
Le Premier ministre Rencontre les représentants des 80.000 Français qui vivent en Israël :
Devant les représentants de la communauté française d'Israël, forte d'environ 80.000 membres, M. Raffarin a plaidé pour que la France et Israël « donnent un souffle nouveau » à leurs relations : «C'est mon premier déplacement ici, mais il y en aura d'autres», a lancé le 15 mars Jean-Pierre Raffarin aux représentants des 80 000 Français installés en Israël. Jean-Pierre Raffarin, a expliqué qu’il s’efforçait à Jérusalem de tout faire pour « donner un souffle nouveau à nos relations.» « Je me sens responsable pour cette mission d'affection entre nos deux peuples », a-t-il martelé. Le premier ministre a ainsi renouvelé le soutien de la France au processus de paix, en concédant à ses hôtes comprendre que «le préalable de la sécurité est essentiel car, sans lui, aucune confiance n'est possible».
Jean-Pierre Raffarin a par ailleurs souhaité qu’Israël soit admis « dès que possible » dans l’Organisation internationale de la francophonie.
« J'ai été très reconnaissant au Premier ministre de dire à Jérusalem que la francophonie devrait accepter Israël dans ses rangs », a déclaré Roger Cukierman, Président du CRIF, sur les ondes de France Info. « C'est une des choses qui nous paraissent choquantes, dans la mesure où il y a des pays comme le Vanuatu qui sont dans la francophonie et qu'Israël n'y figure pas, bien qu'il y ait un million de francophones en Israël », a-t-il ajouté.
L’inauguration du nouveau musée de Yad Vashem :
Le nouveau Musée de l'Holocauste du Mémorial des martyrs et des héros de Yad Vashem a été inauguré le mardi 15 mars, à Jérusalem, par le chef de l'Etat d'Israël, Moshé Katsav, en présence d'une quarantaine de dignitaires étrangers dont le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. Plusieurs chefs d'Etat avaient fait le déplacement dont les présidents polonais, lituanien et de la Confédération helvétique. Parmi les Premiers ministres, outre Guy Verhofstadt, figuraient les chefs de gouvernement français Jean-Pierre Raffarin, suédois Göran Persson, néerlandais Jan Pieter Balkenende, danois Anders Fogh Rasmussen et roumain Calin Popescu-Tariceanu. Les ministres des Affaires étrangères Joschka Fischer (Allemagne), Jan Petersen (Norvège), Miguel Angel Moratinos (Espagne) et Antonio Monteiro (Portugal) étaient également présents.
Au cours de cette cérémonie empreinte d'une grande émotion, le Premier ministre israélien, Ariel Sharon, a déclaré : « Quand vous sortirez de ce musée, vous verrez le ciel de Jérusalem. Je sais ce qu'un juif ressent lorsqu'il respire l'air de Jérusalem. Il se sent libre, il se sent chez lui ». « Il sait qu'Israël est le seul endroit au monde où les Juifs ont le droit de se défendre, et que c'est le gage pour le peuple juif qu'il ne connaîtra pas une autre Shoah », a ajouté M. Sharon (Le Monde, 15 mars 2005). « L'Holocauste n'est pas seulement une expérience juive. C'est un événement très important pour le monde entier », a pour sa part déclaré le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. « Nous avons tous tiré les leçons de (la Shoah) », a assuré le secrétaire général.
A Yad Vashem, le Premier ministre français a déclaré que « la tragédie de la Shoah n'est pas qu'histoire. » « Elle a un poids de chair, de sang et de souffrance qui demeure ancré dans nos esprits », a-t-il insisté. « Pour nous Européens, la Shoah a façonné, plus peut-être que tout autre événement, notre présent, notre perception du monde (...) Oublier que la défense de la dignité humaine nécessite un engagement constant est déjà trahir ce devoir de mémoire », a-t-il dit.
Puis, selon l’agence de presse britannique Reuters (16 mars), il a pris à témoin son assistance internationale - Kofi Annan, Elie Wiesel, le maire de New York, Michael Bloomberg et les chefs de délégation d'une trentaine de pays - l'assurant de sa détermination à lutter contre l'antisémitisme, dont la résurgence en France « n'est pas niable ».
M. Raffarin a réaffirmé que la France resterait « toujours déterminée » dans la lutte contre l'antisémitisme, qui « hélas n'appartient pas, lui non plus, qu'au passé ». « Le gouvernement que je dirige lutte avec détermination contre toutes les formes de réapparition de l'antisémitisme en France. La répression est nécessaire et nous n'y mettons aucune faiblesse », a-t-il ajouté en soulignant également l'importance de «l'éducation » (AFP du 15 mars).
L’entretien entre le Premier ministre français et son homologue israélien :
La visite de Jean-Pierre Raffarin s’est poursuivie le 16 mars par un entretien entre le Premier ministre français et son homologue israélien, Ariel Sharon. Les deux chefs de Gouvernement, qui ne s’étaient jamais rencontrés auparavant, inscrivent cette rencontre dans le cadre d’une volonté mutuelle d’approfondissement et d’enrichissement des relations franco-israéliennes.
La presse française a longuement relaté et commenté cette rencontre : « Embellie confirmée avec Israël », a titré France Soir (15 mars). Pour La Croix (15 mars), « Raffarin réchauffe les relations avec Israël », et cela fait partie des nouveaux signes de changement à l’œuvre au Proche-Orient. Le Figaro (15 mars) a repris les propres termes du Premier ministre, et a parlé de « mission d'affection. » Enfin, selon l'envoyé spécial de Libération, Raffarin « tente de redorer le blason français en Israël ». Mais, affirme ce journal, « l'opération séduction française touche ses limites. »
Ainsi lorsque Ariel Sharon -après avoir applaudi l'interdiction de la chaîne de télé du Hezbollah, l'organisation des Chiites libanais- a demandé à son homologue que Paris inscrive le parti chiite libanais Hezbollah dans la liste des organisations terroristes, le chef du gouvernement français lui a opposé une fin de non-recevoir en rappelant que ce parti avait « une certaine audience au Liban ».« La priorité est de parvenir à la restauration de la souveraineté pleine et entière du Liban et l'inscription du Hezbollah » parmi les organisations terroristes « ne peut que compliquer davantage cet objectif », a fait valoir M. Raffarin, selon son entourage (AFP, 16 mars 2005)
A Jérusalem, le comité exécutif de l’American Jewish Committee rendait hommage au Premier ministre français, pour l’action qu’il mène dans la lutte contre l'antisémitisme en France. David A. Harris, directeur exécutif du Comité -qui est également fils de survivants de la Shoah qui vivaient en France au début de la Guerre- a également expliqué que la lutte contre l’antisémitisme « n'est pas une tâche facile, qui ne sera pas résolue du jour au lendemain. Mais il s'agit d'une tâche nécessaire et vitale, exigeant à la fois détermination et persévérance. » Par ailleurs, il a remercié le Premier ministre parce que des chaînes de télévision (Al Manar et la chaîne de télévision iranienne, Sahar1) ne sont plus diffusées. (Itnews, 16 mars 2005).
Les réactions de la presse israélienne
Le vendredi 11 mars 2005, Haaretz sous la plume de Daniel Ben-Simon dresse le portrait du Premier ministre, quelques jours avant qu’il ne se rende en Israël. Le quotidien israélien constate que « c’est à cet homme politique, qui a commencé sa carrière en tant que représentant des commerçants et des artisans, que revient le mérite de rassurer officiellement la communauté juive prise d’une panique qu’elle n’avait pas connue depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Les dirigeants de la communauté s’accordent à dire que Jean-Pierre Raffarin a joué un rôle singulier durant cette période d’épreuve. Grâce à un travail de fourmi et à un politique juste, il a réussi à apaiser les peurs et à consolider le sentiment de sécurité des Juifs de France. » Le 16 mars, Le quotidien israélien à grand tirage Yédiot Aharonoth relate l’entretien du Premier ministre israélien avec son homologue français, Jean-Pierre Raffarin, au cours duquel le premier a salué l’action menée par la France pour interdire la chaîne Al Manar ainsi que la coopération sécuritaire entre les deux pays. Le quotidien Maariv indique quant à lui que le ministre français des Finances a assisté à cette entrevue. Selon le journal, les trois hommes ont débattu du désengagement et des difficultés internes d’Ariel Sharon au Likoud.
Citant le Premier ministre français dans ses premières pages, Haaretz affirme pour sa part et se félicite que les « relations entre Paris et Jérusalem se réchauffent ».
Et après ? :
Avant de reprendre l'avion pour Paris, le 16 mars, Jean-Pierre Raffarin a pris le temps d'enregistrer un message sur la deuxième chaîne de télévision israélienne pour célébrer la création du 57 e anniversaire de l'Etat hébreu. Le Premier ministre a pris de l'avance puisque cette interview sera diffusée... le 11 mai. Plus tôt, Raffarin avait accordé une interview à Channel 10 pour vanter le renouveau des relations franco-israéliennes. Le journaliste israélien interroge à cette occasion Raffarin : « La France est-elle vraiment aux côtés d'Israël ? » Le Premier ministre a sourit, puis a tapé sur la cuisse de son interlocuteur, raconte Le Parisien du 16 mars : « Vous ne dormez pas ? Vous êtes bien éveillé ? Oui, la France est à vos côtés. »
D’autres visites de ministres français sont annoncées : celle du ministre de l'Industrie, Patrick Devedjian, du 26 au 28 mars puis de la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, les 4 et 5 avril. En attendant l'hypothétique venue à Paris d'Ariel Sharon. Aucune invitation n'a été lancée pour l'instant. Mais Jean-Pierre Raffarin l’a admis : « Il y a une volonté réciproque.»