Rappelons les faits. Le lundi 26 février 2007, le Service de Protection de la Communauté Juive (SPCJ) venait de rendre publics les chiffres des actes antisémites commis en France en 2006. Les chiffres du SPCJ ont été publiés sur le site Internet du CRIF. Le CRIF y a ajouté une analyse qui permet de rendre plus compréhensible ces données multiples (1) : 213 actions (contre 134 en 2005) ont été recensées en 2006 par le SPCJ, soit une hausse de 40%. 158 menaces (contre 148 en 2005), soit une hausse de 7%. 371 actes ont été recensés en 2006 (contre 300 en 2005) soit une hausse globale de 24%.
A un niveau ou à un autre, la presse a fait état de la publication de ces chiffres à la fois intéressants (parce qu’ils sont un indicateur fiable sur le sujet) et relativement inquiétants. Seulement, première surprise : toute la presse écrite n’a pas couverte de la même manière ces données : Le quotidien Le Monde, par exemple, n’a publié qu’une seule et unique brève pour parler de ce sujet. Deux articles de plus grande envergure ont été publiés, notamment dans l’édition du Figaro, mardi 27 février 2007 et dans le quotidien 20 minutes. Pour leur part, les chaînes de télévision LCI, I télévision et BFM télé, ont consacré quelques sujets pour parler de cette hausse de l’antisémitisme.
Par ailleurs, comment devons-nous interpréter et comprendre, ce que nous pourrions appeler en l’état le silence de la classe politique ? A ma connaissance, aucun homme politique (ni aucune femme) n’a tenu à s’exprimer, ni n’a commenté ces chiffres de près ou de loin. Il est vrai que nos présidentiables sont très occupés et qu’ils sont soumis à un emploi du temps démentiel. Dans cette campagne, les sujets se multiplient, les meetings se succèdent. Mais n’est ce pas là aussi un sujet d’actualité ? N’est-ce pas là aussi le révélateur des dysfonctionnements de notre société, que de parler de l’antisémitisme et/ou du racisme ? Et les hommes politiques n’ont-ils pas pour obligation de réfléchir, questionner et dénoncer durablement cette hausse de l’antisémitisme ?
Il est vrai qu’en France les problèmes ne manquent pas. Il est vrai également que la lutte contre le racisme et l’antisémitisme ne fait apparemment pas partie des préoccupations de nos compatriotes. Ainsi, lorsqu’ils sont interrogés (Le Figaro-RTL-LCI par TNS Sofres- Unilog, pour Le Figaro du 5 mars 2007), les Français disent que parmi les thèmes suivants ceux qui comptent le plus dans leur choix du candidat à l’élection présidentielle sont : le chômage (50%), l’amélioration du pouvoir d’achat (34%), l’amélioration de l’enseignement (34%), la protection sociale (30%), la lutte contre la pauvreté (30%), la lutte contre l’insécurité (29%), l’environnement (25%), la lutte contre l’immigration clandestine (18%), les impôts (17%), l’avenir des services publics (9%), l’intégration des minorités (8%) … Et le racisme dans tout cela ?
Pourtant, nous voulons croire en une société apaisée, en une France fraternelle, au propre comme au figuré. Nous voulons croire en une France qui lutterait contre ses vieux démons. Nous voulons croire en une société qui prendrait conscience que le racisme et l’antisémitisme minent notre pays. Une société qui dirait : l’antisémitisme ne concerne pas que les Juifs, pas plus que les discriminations ne concernent exclusivement ceux et celles qui en sont les victimes, mais l’ensemble de notre société, et en premier les hommes politiques et les pouvoirs publics.
Dernier exemple pour apporter –si je puis dire- de l’eau à notre moulin : je suppose que nos lecteurs ont lu la transcription de l’interview que Raymond Barre a donné sur France Culture, transcription publiée sur notre site Internet. Dans une interview diffusée le 1er mars dans l’émission « le rendez-vous des politiques » sur France Culture, l’ancien premier ministre dénonce « la campagne qui a été faite par le lobby juif le plus lié à la gauche » en 1980 et considère qu’on a fait de Maurice Papon un « bouc émissaire ». Raymond Barre ne trouve rien à redire de Papon -condamné pour complicité de crime contre l’humanité- et qu’il qualifie de « grand commis de l’Etat ». Enfin, selon Raymond Barre, le frontiste Bruno Gollnisch a été un « bon conseiller municipal. »
Dans l’interview de Raymond Barre, les passages suivants sont proprement scandaleux :
- « Alors nous nous trouvons devant un phénomène essentiel : est-ce que tous les fonctionnaires de l’Etat qui étaient en fonction à l’époque (sous l’Etat français) auraient dû abandonner leurs responsabilités ? Ou au contraire rester, pour essayer de limiter la casse – si vous me permettez cette expression- et de préparer l’avènement de la République qui suivrait. »
- « Personnellement j’ai plutôt le tempérament à la désobéissance. Mais quand on a des responsabilités essentielles dans un département, une région ou à plus forte raison dans le pays on ne démissionne pas. On démissionne lorsqu’il s’agit vraiment d’un intérêt national majeur. » Ainsi donc, à entendre Barre, il n’y aurait eu aucune raison de démissionner en 1941, 1942, 1943, 1944.
Mais qu’ai-je donc à râler aujourd’hui ?
Eh bien, je le dis.
J’aurais aimé qu’un homme politique, et/ou qu’un présidentiable dénonce ces propos !
J’aurais aimé que l’on jauge et que l’on juge de l’impertinence de tels propos !
J’aurais aimé que l’on ne couvre pas par son silence des propos aussi assourdissants et blessants que ceux qui ont été prononcés par Barre sur une antenne publique !
J’aurais aimé que l’on réagisse, que l’on proteste, que l’on s’étonne, que l’on crie au scandale !
J’aurais aimé que nous ne soyons pas les seuls à réagir. Mais serait-ce finalement… trop demander ?
Marc Knobel
Note :