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La Résistance à l'occupant nazi et à ceux qui collaborèrent avec lui entre 1940 et 1945 n'est pas un épisode comme un autre de l'Histoire de France. Qu’est ce que la Résistance peut apporter à nos contemporains ? Non pas des faits d'armes héroïques, mais des raisons de s'engager collectivement au service d'un idéal, et d'assumer des responsabilités et des risques individuels - en somme, des repères.
Les Juifs de France, dès les premiers jours qui ont suivi la défaite, répondent en nombre à l’appel du Général de Gaulle à Londres puis plus tard dans les Forces Françaises Libres ou dans l’Armée d’Afrique. Mais à côté des mouvements de Résistance se développent des mouvements de résistance juive. L’existence de ces réseaux spécifiques répond à la volonté des juifs persécutés parce que juifs de se battre.
La promotion de Georges Loinger, au grade de commandeur de la Légion d’honneur par le Président de la République le 19 septembre 2005 nous donne l’occasion de tenter de retracer son parcours en s’attardant sur les années de guerre, qui l’ont propulsées dans les réseaux de résistance juive où il a fait « ce qu’il avait à faire ». Lors d’une rencontre avec lui, il nous confie quelques souvenirs, précis, vivants, commentés de réflexions pleines de justesse, de bon sens politique et d’extraordinaire humanité.
Il se tient le dos bien droit, ses yeux clairs sont vifs et vigilants et son regard intelligent, son esprit bouillonne de projets d’écriture, son élocution est parfaite et son pas, alerte comme celui d’un jeune homme. Georges Loinger est né en 1910. Il pratique le sport depuis toujours, refuse alcool et cigarettes et nage 30 longueurs de bassin chaque jour. A l’âge de 7 ans, il est déjà « le meilleur en gymnastique et en sport ». A 20 ans, en 1930 alors qu’il effectue son service militaire à Strasbourg, sa ville natale, l’armée apprécie ses aptitudes sportives et le forme au commandement au sein de l’Ecole militaire de Joinville. Il devient instructeur sportif du régiment. Dix ans plus tard, fait prisonnier de guerre avec son régiment, et interné au Stalag 7A en Allemagne, il s’évade en compagnie de son cousin, Marcel Vogel, fait prisonnier bien avant lui. Quelques mètres de neige immobilisent les chiens lâchés à leurs trousses le long du terrible camp de Struthof, en Alsace, et les laissent rejoindre une France, « tellement vaincue, dans un tel laisser aller », que la population, en état de choc, donne des signes d’apathie. C’est dans cette défaite totale qu’il faut mettre en place des réseaux de résistance et de sauvetage, avec pour toile de fond, la terreur anti-juive. Georges Loinger passera quatre ans à fréquenter ces réseaux et leurs fondateurs.
Proche de la frontière allemande, Strasbourg bénéficie du renouveau politique, intellectuel et culturel issu de l’immigration importante d’une partie de la jeunesse juive originaire d’Europe de l’Est, vers l’Allemagne, l’Autriche, puis la France. La rencontre de Georges Loinger en 1930 dans la capitale alsacienne avec le chef du service médico-social de l’œuvre de Secours aux Enfants (OSE) le Dr Joseph Weill, génial, doué de clairvoyance, est déterminante pour son existence. Joseph Weill encourage la préparation physique de la jeunesse juive qu’il sait, à court ou à moyen terme, menacée par l’avancée irrésistible de l’Allemagne. Hitler gagnera la guerre et mettra ses menaces de mort à exécution. Georges Loinger assure qu’il « fait partie de la génération de ceux sont marqués par le sionisme, Herzl n’était pas loin ». Il souligne l’influence des sionistes venus de l’Est, particulièrement de Russie, dans la structure des mouvements de jeunesse, notamment au sein des Eclaireurs israélites de France. Il se souvient de l’un d’entre eux, le « bon géant » Léo Cohn. Originaire de Dantzig, réfugié en France en 1941, ce fils de rabbin « doué pour la musique, pour le théâtre » introduit au sein du mouvement EI un esprit spirituel Les petits éclaireurs israélites français, à l’origine des fils et des filles de familles « bon chic bon genre » ignorent tout des Juifs d’Europe de l’Est, de leur savoir et de leur triste condition. Léo Cohn leur apprend « tout ce que le ghetto a produit du souvenir d’Eretz Israël, toute la problématique juive, il les a enjuivés en quelque sorte ! » Robert Gamzon, le fondateur des Eclaireurs israélites, qui, jusqu alors, forme de « bons petits français » accepte l’influence de Léo Cohn et lui confie la ferme école des EEIF à Lautrec, dans la région de Toulouse.
Georges Loinger se rappelle que les juifs français « avait refoulé l’affaire Dreyfus » et qu’ils « vivaient là, en Français ». L’introduction, l’injection du sionisme dans les mouvements de jeunesse juifs français fera de ces israélites des juifs. La présence des juifs de l’Est en France et leur influence sur les structures communautaires de l’époque, occasionne un changement radical et durable dans les institutions juives, en proposant la voie de l’amendement comme alternative à celle de l’assimilation.
Les dirigeants russes de l’OSE, pour la plupart chassés par Staline, pétris de Haskala, étaient aguerris, intellectuels, connaissant « toutes les misères du monde, toutes les persécutions tsaristes, tous les pogroms » et surtout doués d’une capacité d’organisation et de réaction aux évènements spectaculaires. En réponse la flambée antisémite en Europe de l’Est, l’OSE créée dès 1938 en France quatre maisons d’enfants, destinées à recueillir des enfants juifs allemands, autrichiens ou tchèques. Flore, l’épouse de Georges Loinger dirige un de ces centres, l’œuvre la Guette qui héberge 125 enfants juifs allemands et autrichiens, réfugiés en France peu avant la guerre. Certains d’entre eux sont très religieux. En 1941 ces enfants sont déplacés en zone non occupée à la Bourboule, et sont logés dans un établissement désaffecté : l’hôtel des Anglais. A la Mairie de la Bourboule, Vichy recrute par affiche et promet un salaire élevé à « des jeunes gens sportifs et motivés » pour obtenir le titre de Chef Compagnon de France. Georges Loinger répond à l’annonce et part trois mois à Megève où il se refait une santé après sa captivité et son évasion d’Allemagne. L’épisode est inédit ; en 1941 la mise au ban des juifs de la société française est effective, les déclarations préfectorales obligatoires. Les différents corps mis en place par Vichy sont interdits aux Juifs. Mais Georges Loinger ne se rend pas à la préfecture pour se déclarer comme Juif. Il ne fera pas cette démarche parce qu’il « ne s’est jamais senti ce juif que l’on pouvait persécuter, qui acceptait d’être persécuté ». L’obligation de sortir affublé d’une étoile juive jaune lui est odieuse. A son retour de Megève, Georges Loinger devient Chef Compagnon de France pour l’Auvergne. Le sort des enfants de la Guette devient de plus en plus précaire. Au cours de l’année 1941, Georges Loinger se rend à Chambéry pour les confier à l’OSE. De nouveau, il retrouve le Dr Joseph Weill, qui lui propose de l’engager en qualité de moniteur itinérant dans les 14 maisons d’enfants repartis en zone non occupée, y compris celle des EEIF. « Le grand chef va venir ! » entend-t-on lors de ses visites… Plus de 1500 enfants habitent ces maisons. Privés de la présence de leurs parents et souvent sans aucune nouvelle, ces enfants sont très déprimés. Pour leur changer les idées, Georges Loinger multiplie les activités physiques et sportives, il organise des compétitions inter-homes, introduisant un genre de scoutisme avec l’approbation des directeurs des centres. Un peu plus tard, lorsque les homes d’enfants deviennent des pièges mortels, cette préparation physique qui au départ n’est qu’un jeu, devient un entraînement au passage des frontières.
A la fin de l’année 1942, lors d’une réunion à Lyon avec les responsables de l’OSE, Joseph Weill, devant le danger qui les menace, conseille à la direction de l’OSE le démantèlement des centres d’hébergement et la dispersion des enfants dans des familles ou des institutions chrétiennes ou laïques. Lors de cette réunion, Joseph Weill présente à l’assemblée un résistant français membre du réseau Combat, à qui il confie la triple mission de disperser les enfants juifs dans un milieu non juif, de leur donner une identité aryenne et de les faire suivre par un personnel non juif ou un personnel juif sous une fausse identité. Cet homme s’appelle Garfinkiel alias Georges Garel. Georges Loinger -qui depuis son évasion en 1940, à la réputation de savoir passer les frontières – est choisi par Garel pour entraîner les enfants les plus menacés afin de les faire passer en Suisse. Protégé par son titre de Chef Compagnon de France, il se rend à Annemasse, dernière étape française avant la Suisse. A lui d’organiser la filière. Les premiers passages sont mis en place très simplement.
Avec la complicité du directeur du Centre d’accueil d’Annemasse, un Alsacien, Eugène Baltazar, Georges Loinger repère un terrain de sport. Il suffit de jouer une partie de football non loin de la frontière suisse, d’envoyer un coup de pied aux étoiles, ou de donner un tacle du bon côté, puis de faire mine d’aller chercher le ballon. Ensuite, soulever le grillage et faire passer les enfants en Suisse. Le Maire d’Annemasse, Jean Defaugt couvre ces passages, bien que sceptique quant à leur sûreté car à la campagne « il y a toujours un paysan qui est courbé à travailler la terre ou un autre qui vous observe à travers les branches ». Alors il faut organiser des passages moins osés. De la Suisse provient à peu près tout ce qui manque en France, et la frontière peu sûre, regorge de contrebandiers. C’est parmi eux que se recrutent les passeurs, payés pour faire passer les enfants.
Georges Loinger assure avec succès le passage de nombreux enfants juifs en Suisse. Mais pas des siens. En 1944, recherché par la Gestapo, il doit cesser l’organisation de passages, par crainte que la filière ne soit totalement remontée. Avant cela, et devant le danger croissant, il tente de faire passer sa femme et leurs deux enfants. La nuit du passage, une patrouille allemande les surprend. L’un des Allemands pointe son arme sur le front de son fils âgé de deux ans et le menace de tirer au moindre mouvement. Aujourd'hui, quand il se remémore cet événement, Georges Loinger évoque avec une pointe d’humour, « la bizarrerie de D. » : lui qui a fait passer plus de trois cents enfants en une année, se fait arrêter avec les siens. Mais une fois encore, la chance sourit à Georges Loinger et aux siens. L’Allemand confie la garde de la famille Loinger à son chien et court rattraper les autres fugitifs. Il hurle à pleins poumons, le chien croit répondre à l’appel de son maître en abandonnant la famille Loinger à un sort devenu soudain meilleur. Georges Loinger, après plusieurs difficultés parvient à faire passer lui même sa femme Flore et leurs deux fils, Daniel et Guy.
Après la Libération, Georges Loinger retrouve sa sœur Fanny Netzer. Quelques échanges leur révèlent qu’ils ont travaillé pour le même réseau en l’ignorant complètement. Georges Loinger est nommé Capitaine par le ministère des Prisonniers qui le charge de créer à Annemasse, un centre d’accueil pour les prisonniers et les déportés.
D’aventures en aventures, la vie clandestine de Georges Loinger ne s’arrête pas après la guerre. Dès 1947, lorsque est imaginé par les combattants de la Haganah et les agents du Mossad Allyah Beth l’embarquement à Sète de 4350 juifs déportés ou déplacés, sur un navire battant pavillon américain, le Président Warfield, renommé Exodus, Georges Loinger est contacté par le Mossad pour se charger des relations avec le ministère de l’Intérieur d’Edouard Depreux. Sans conteste, la France aide ces juifs à s’embarquer pour la Palestine, notamment en leur permettant d’obtenir des visas leur permettant de transiter légalement en France le temps d’embarquer. Georges Loinger maintient ses activités en faveur d’Israël. Pendant des années, il dirige en France et pour le Bénélux la Compagnie nationale de Navigation israélienne (ZIM), encourage le séjour en kibboutz, organise des pèlerinages en Terre Sainte, puis crée avec le révérend père Michel Riquet, la Fraternité d’Abraham.
En 2003, Georges Loinger invite ses camarades résistants à publier un ouvrage qui présente l’histoire des neufs réseaux de résistance, issus de la communauté organisée. Epuisé, cet ouvrage est en cours de réédition. La seconde édition augmentée comprend un 10ème réseau ; la WIZO. Georges Loinger et ses camarades tiennent à mettre en lumière les activités de résistances accomplies par les femmes de la WIZO lors des années d’occupation.
Stéphanie Dassa
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