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L'horrible enchaînement des attentats, les actions militaires en riposte, des élections qu'on dit jouées d'avance : l'opinion israélienne, après deux ans de la seconde Intifada, est en plein désarroi.
« A chaque fois c'est la même chose. Après un attentat, on se dit "Ç'aurait pu être moi", puis "C'est peut-être quelqu'un que je connais ». Eva Halami vit à Jérusalem, dans le quartier de Gilo. Juive d'origine tunisienne, en Israël depuis vingt-sept ans, elle a vu sa vie bousculée par l'Intifada. Une balle, tirée depuis le village palestinien de Beit Jala, de l'autre côté d'un petit vallon, a traversé sa vitre il y a quelques mois. Et surtout, elle a assisté à l'explosion de l'autobus qui, le 18 juin à Gilo, a fait 20 morts et une cinquantaine de blessés. « Mon fils de 8 ans avait oublié quelque chose à la maison, c'est pour cela qu'on a raté le bus... »
Tension perceptible
Aujourd'hui, à Gilo, on ne sait plus. « C'est calme aujourd'hui, mais peut-être avant la tempête, comme à Hébron [où a eu lieu une embuscade meurtrière le 15 novembre] », juge Maurice Azoulay. Cet enfant de Marseille, en Israël depuis vingt-trois ans, préside le comité de sécurité du quartier. Il croit savoir que les fusillades sur Gilo était le fait de « trois frères mercenaires payés par l'Autorité palestinienne ». L'un est mort, le second arrêté, le troisième en fuite. Mais la peur est toujours là. « Vendredi dernier, il y a eu trois coups de feu ». A Netanya, chic station balnéaire au nord de Tel-Aviv, Claude Cohen a la dent dure : « l'Europe donne raison aux Palestiniens, non parce qu'ils ont raison, mais pour avoir la paix ! » Propriétaire du Park Hôtel, un quatre-étoiles sur le front de mer, il contemple les travaux en cours dans la salle de réception du rez-de-chaussée. C'est là que la fin mars, une bombe humaine a entraîné dans la mort 29 personnes qui partageaient le seder, le repas traditionnel de la Pâque. Claude Cohen y a perdu son gendre. Depuis, Netanya a créé sa police touristique, indique Vered Sweed, maire-adjointe, et se démène pour tenter de remplir hôtels et restaurants. La terrible succession des attentats créé ici une tension perceptible. « On se demande toujours ce qu'il faut faire, si c'est prudent d'aller quelque part, s'il faut laisser les enfants sortir », explique Michel Rothé, chirurgien-dentiste à Jérusalem -et webmaster du site Internet du judaïsme alsacien. « Mais il faut vivre quand même ». Une vie que complique la grave crise économique provoquée par le conflit. « On frôle les 12,8% de chômage », calcule Colette Avital, députée travailliste à la Knesset, « il y a eu 50 000 faillites en un an et mon parti a quitté le gouvernement d'union nationale parce qu'il voulait couper dans les allocations sociales ».
Recherche de certitude
Les Israéliens voteront donc le 28 janvier. Pour la cinquième fois en dix ans. Ils savent déjà que le parti travailliste sera mené par Amram Mitzna, le maire de Haïfa. Ils pressentent que le Likoud le sera par Ariel Sharon, Premier ministre sortant, ce qui sera tranché dans quelques jours. Les sondages donnent Sharon largement gagnant. « Les Israéliens cherchent de la certitude », analyse Denis Charbit, professeur de civilisation française et de sciences politiques. « C'est paradoxal : les gens votent à droite, mais répondent oui quand on leur demande s'il faut démanteler les implantations [en territoire palestinien] et s'il faut créer un État palestinien ». Le chercheur avance une explication : « Beaucoup de gens voient en Sharon une réplique de de Gaulle avec l'Algérie : porté par la droite, il a finalement négocié avec le FLN... »
Une certaine désespérance
La paix reste-t-elle un désir ? « La société israélienne est en désarroi », juge Daniel Shek, qui dirige le département européen au ministère des Affaires étrangères israéliens. « Elle était prête, il y a deux ans, à faire le grand saut vers la paix par la négociation ; le partenaire a choisi le chemin opposé. Une des victimes de l'Intifada, c'est la confiance ». Chaque bombe humaine renforce ce que l'ambassadeur de France, Jacques Huntzinger, appelle « une certaine désespérance dans la perspective de la paix ». La vie continue pourtant. A Jaffa, des jeunes dans la rue fêtent... le Beaujolais nouveau. Les partis politiques ont commencé leur affichage. Une maigre poignée de touristes et pèlerins visite les lieux saints chrétiens, à Jérusalem, Nazareth et autour du lac de Tibériade. Et parfois, comme le confie Eva, on regarde ceux qu'on aime avec d'autres yeux : « Je ne peux plus partir le matin s'il reste une petite fâcherie avec mon fils : si je n'allais jamais le revoir ! »
Jacques Fortier
Dernières Nouvelles d’Alsace
23 novembre 2002
NDLR : Jacques Fortier a fait partie d’une délégation de journalistes qui se sont rendus la semaine dernière en Israël à l’invitation du CRIF.