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Publié le 25 Avril 2006

L’Affaire Dreyfus sur Internet Par Marc Knobel

Nous publions ci-après la communication présentée par Marc Knobel, Chercheur au CRIF, lors du colloque qui a eu lieu au Musée de Bretagne de Rennes, les 23-24 et 25 mars 2006 : « Célébration de la réhabilitation du Capitaine Dreyfus ». Le colloque de Rennes a présenté les éclairages les plus récents sur cet événement qui met en question la notion de République à travers la justice, les droits de l’Homme et le problème de l’antisémitisme.


L’auteur de ces quelques pages est conscient des lacunes de ce travail. Il eut fallu passer beaucoup plus de temps et consulter le maximum de sites Internet parlant de l’Affaire Dreyfus, pour s’intéresser en premier lieu à leur contenu. Faute de temps - le temps est toujours un allié précieux - nous limiterons donc considérablement notre étude. Nous survolerons le sujet pour rendre compte de ce que l’on trouve quantitativement, plutôt que qualitativement. Aussi, voulons-nous encourager quiconque s’intéresse à ce sujet à débroussailler le terrain et à prospérer plus en avant.
Point de départ de cette étude : les moteurs de recherches.
Plus d’un tiers des internautes utilise les moteurs pour se rendre sur des sites web. Ces moteurs constituent donc un élément incontournable de l’Internet. Il s’agit d’un service permettant de trouver les sites par mots clés. Préalablement, ces moteurs parcourent et indexent les pages Web afin de permettre aux utilisateurs de les retrouver. L’une des méthodes consiste à recenser les sites Web sur la base de l’importance des mots contenus dans chaque page de site, mettant en évidence ceux qui apparaissent le plus souvent. Cette recherche est basée sur une présupposition : que ces mots représentent l’argument principal de la page même. Précision utile : dans la hiérarchie des utilisateurs, le principal moteur est Google qui représente 73 % des parts de marchés. Les 25 % restants se répartissent entre Yahoo, à 9 %, MSN, à 4 %, Voila (le moteur de Wanadoo) à 3 %, Free à 2 %…
Pour entreprendre notre recension, nous nous sommes connectés sur deux moteurs de recherches : Google (le plus important) et MSN qui est de bien moindre importance. Google est de plus en plus performant. En l’espace de quelques fractions de secondes le moteur propose les adresses des principaux sites et donne accès à des contenus très complets. Dans cette recherche, MSN sera donc vu comme un complément, pas forcément inefficace d’ailleurs, mais accessoire.
Pour commencer cette recherche, gardons en mémoire ce premier résultat. Si nous tapons les mots clés « Affaire Dreyfus », nous obtiendrons les chiffres suivants :
Google
MSN
Affaire Dreyfus
373.000 (sites)
80.182 (sites)
Cette masse est énorme mais ce résultat doit être relativisé. La plupart du temps, les textes sur l’Affaire Dreyfus sont sans intérêt : il s’agit tout au plus d’une simple mention qui n’apporte aucune autre information sur l’Affaire elle-même, ce que nous expliquerons par la suite.
Sélection par des mots clés simples :
Une fois que nous savions quel moteur nous utiliserions pour effectuer cette recherche, il fallut sélectionner des mots-clés. Très logiquement, nous avons d’abord opté pour quelques personnages qui ont joué un rôle important ou moindre pendant l’Affaire Dreyfus. Aussi avons-nous testé les réponses de nos deux moteurs de recherches (Google et MSN) pour les personnages suivants : le Général Raoul Le Mouton de Boisdeffre , le Général Jean-Baptiste Billot , Maître Edgar Demange , Mathieu et Lucie Dreyfus , Ferdinand Walsin-Esterhazy , le Général Charles-Arthur Gonse , le Commandant Hubert-Joseph Henry , Maître Fernand Labori , Louis Leblois , le Général Auguste Mercier , Alessandro de Panizzardi , Maximilian von Schwartzkoppen , le Général Gabriel de Pellieux , le Colonel Georges Picquart et Joseph Reinach.
Il ne s’agissait pas de recenser les principaux personnages de l’Affaire et de nous livrer à une recherche systématique. Sur l’Internet, cette recherche aurait été trop longue à mener et elle eut été particulièrement fastidieuse. Dans ce premier tableau, nous livrons donc nos premiers résultats. Pour chaque nom, la réponse du moteur de recherche s’affiche avec une liste de sites qui répondent à ces mots clés. En premier lieu, nous donnons les réponses de Google, puis celles de MSN.
GOOGLE
MSN
Général Jean-Baptiste Billot
664
834
Général Raoul Le Mouton de Boisdeffre
197
28
Maître Edgar Demange
398
802
Mathieu Dreyfus
115.000
14224
Lucie Dreyfus
48.100
9.250
Ferdinand Walsin-Esterhazy
875
430
Général Charles-Arthur Gonse
44
7
Commandant Hubert-Joseph Henry
142
35
Maître Fernand Labori
182
52
Maître Louis Leblois
316
189
Général Auguste Mercier
130.000
15.052
Alessandro de Panizzardi
144
53
Maximilian von Schwartzkoppen
83
37
Général Gabriel de Pellieux
144
35
Colonel Georges Picquart
699
702
Joseph Reinach
65.400
10.944
Une première constatation s’impose : le différentiel entre Google et MSN est très net. Google est plus performant que MSN et l’on obtient quelquefois 10 fois plus de réponses avec Google qu’avec MSN.
Regardons maintenant de plus près les chiffres que nous venons de communiquer. C’est l’entrée « général Mercier » qui est la plus listée (150.000 sites sur Google contre 15.052 sites pour MSN). Cette entrée est suivie de près par « Mathieu Dreyfus » (115.000 sites et 14.224 pour MSN) et « Joseph Reinach » (65.400 sites pour Google et 10.944 pour MSN). A l’inverse, et assez curieusement l’entrée « le commandant Henry » ne totalise que 142 réponses pour Google et 35 pour MSN ; 83 réponses pour « Von Schwartzkoppen » avec Google et 37 pour MSN et 44 réponses pour « le général Gonse » (7 pour MSN). Ceci étant, il convient de préciser que les chiffres que nous donnons se lisent et se comprennent à un moment donné, notre recherche ayant été effectuée en mars 2006. D’ici quelques temps, ces chiffres seront obsolètes.
Une seconde constatation s’impose : le moteur de recherche n’est pas l’outil performant par excellence. Prenons un exemple. Pour l’entrée « Louis Leblois », le moteur référencie quelquefois indistinctement « Louis » et « Leblois ». Aussi, en page 2 de Google, le moteur référencie-t-il un 11ème site, qui est consacré à l’Université… « Louis Pasteur de Strasbourg ». Et dans la notice qui apparaît, il est indiqué que pour ce rendre à cette université, « il faut emprunter le Boulevard Leblois, jusqu'au quartier de l'Esplanade ».
Une troisième constatation s’impose : la recherche que nous venons d’effectuer en utilisant les seuls noms propres ne suffit pas. Si nous sélectionnons « Général Charles-Arthur Gonse », en pensant trouver des documents ou des textes qui porteraient uniquement sur son rôle pendant l’Affaire Dreyfus, nous verrons apparaître bien d’autres choses : des notices diverses, comme cette note provenant d’un annuaire militaire de 1908, avec la mention de son grade. Mais rien sur l’Affaire en elle-même. Nous trouverons également son nom cité dans une correspondance d’Emile Zola, ou bien encore le nom de l’acteur qui a joué le personnage du Général Gonse, dans une pièce musicale en deux actes présentée par Paul Kaufman & Susan Berman : The Scoundrel « D ». The Dreyfus Affair.
Une quatrième constatation s’impose : nous insistons sur ce point parce qu’il découle de notre précédente observation : en la matière et pour cette recherche (comme pour d’autres), l’Internet ne peut être considéré que comme une source complémentaire. Nos recherches sur l’Affaire Dreyfus sur l’Internet montrent que l’on trouve de tout : de simples mentions évoquant l’Affaire et son importance, des citations disparates, des biographies plus ou moins complètes, des notices imparfaites, des listes bibliographiques, des fiches techniques erronées ou non, des recensions, des photographies légendées, quelques propos anodins ou de circonstance. Sur l’Internet, les mentions qui concernent l’Affaire sont souvent si réduites qu’elles sont quelquefois truffées d’erreurs. Les textes s’apparentent souvent à des copiés/collés, sans la moindre mention de source. Certains textes ont été réécrits par une troisième ou une quatrième personne. Par contre, nous voulons relever la qualité de certains textes. Il s’agit en général d’articles publiés dans des revues historiques, d’exposés, d’extraits de textes ou d’articles de presse publiés pendant l’Affaire.
De toute évidence en tout cas, nous trouvons sur l’Internet de tout, mais pour avoir une idée complète de tout ce qu’il y a, il faut passer un temps infini à dépouiller cet ensemble. Pour finalement rester sur sa faim. Aussi devons-nous rappeler cette évidence de la palisse : l’Internet n’a pas vocation à se substituer aux archives ni aux bibliothèques spécialisées et/ou municipales qui conservent des dizaines ou des centaines d’ouvrages sur l’Affaire Dreyfus.
En l’état donc, nous pensons que pour cette recherche, Internet est plus une somme indistincte et complémentaire qu’autre chose. Pour être plus clair, nous conseillons par exemple aux enseignants qui font travailler leurs élèves sur l’Affaire Dreyfus, de les inviter à se rendre au centre de documentation et d’information (CDI) de leur établissement scolaire ou dans des bibliothèques. L’élève qui aura un exposé (sur l’Affaire) à présenter en classe, peut certes consulter l’Internet. Mais, l’enseignant doit lui apprendre à maîtriser l’outil qu’il va utiliser et à comprendre dans quel espace il évolue.
Sélection par des mots clés composés :
L’internaute qui n’est pas découragé par cette masse indistincte et qui veut affiner ces recherches choisira une autre fonctionnalité : la recherche évoluée. Lorsqu’un internaute soumet une requête de base, le moteur renvoie uniquement les pages Web qui contiennent tous les mots spécifiés (qu'ils soient adjacents ou non) ; par conséquent, pour mieux cibler une recherche et obtenir une liste de résultats à la fois plus courte et plus pertinente, il suffit d'ajouter d'autres termes de recherche à sa requête. En spécifiant davantage de mots, les résultats deviennent un sous-ensemble spécifique des pages renvoyées par la requête originale, qui était « trop vague ».
De ce fait, nous avons effectué cette sélection et nous avons associé à des noms (Ferdinand de Brunetière, Alfred Dreyfus, Edouard Drumont, Jules Guérin, Charles Maurras, Auguste Scheurer-Kestner, Emile Zola), d’autres personnages historiques, des lieux et des moments ou des situations. Il va de soi que nous aurions pu choisir bien d’autres noms ou reprendre les noms de notre première catégorie. Mais, nous avons voulu modifier notre recherche.
Aussi obtenons-nous les résultats suivants :
Ferdinand de Brunetière :
Ferdinand de Brunetière,
Directeur de La Revue des Deux Mondes
388
175
Ferdinand de Brunetière – Alfred Dreyfus
216
97
Ferdinand de Brunetière – Bernard Lazare
136
27
Ferdinand de Brunetière – Léon Blum
185
199
Alfred Dreyfus:
Alfred Dreyfus - Mulhouse
749
1.060
Alfred Dreyfus – Ile du Diable
11.700
5.836
Alfred Dreyfus – Rennes
17.700
7.804
Alfred Dreyfus – Carpentras
361
542
Alfred Dreyfus - cimetière Montparnasse
599
131
Alfred Dreyfus – François Brigneau
111
22
Alfred Dreyfus et Emile Zola
48.700
5.240
Alfred Dreyfus et Léon Blum
28.600
2.617
Edouard Drumont :
Edouard Drumont
21.400
3.166
Edouard Drumont et Alfred Dreyfus
536
565
Edouard Drumont et le général de Boisdeffre
184
37
Edouard Drumont et Mathieu Dreyfus
234
265
Edouard Drumont et Lucie Dreyfus
279
66
Edouard Drumont et Charles Maurras
434
395
Edouard Drumont et Emile Zola
677
500
Edouard Drumont et Bernard Lazare
317
443
Edouard Drumont et les Juifs
648
947
Edouard Drumont et les « youpins »
34
15
Edouard Drumont et la France juive
966
904
Jules Guérin :
Jules Guérin – Affaire Dreyfus
700
1.498
Jules Guérin - Fort Chabrol
300
562
Jules Guérin – Ligue antisémite Française
161
52
Charles Maurras :
Charles Maurras
95.000
11.379
Charles Maurras et les Juifs
12.100
1.604
Charles Maurras et Alfred Dreyfus
714
815
Charles Maurras et Emile Zola
879
1.122
Charles Maurras : Edouard Drumont
438
394
Charles Maurras – Ligue antisémite
379
159
Auguste Scheurer-Kestner :
Auguste Scheurer-Kestner
616
550
Auguste Scheurer-Kestner
– Affaire Dreyfus
241
234
Auguste Scheurer-Kestner
– Mathieu Dreyfus
215
183
Emile Zola :
Emile Zola - Georges Clemenceau
146.000
12.428
Emile Zola – J’Accuse
49.000
10.291
Emile Zola – Alfred Dreyfus
48.700
9.078
Emile Zola – Léon Blum
61.500
7.687
Emile Zola – Léon Blum – affaire Dreyfus
462
655
Emile Zola – Edouard Drumont
679
735
Emile Zola – L’Aurore
15 900
3.486
Cette recherche permet d’affiner nos résultats et de se faire une idée précise de la masse qui est accessible. Ainsi, si nous limitons notre recherche à « Edouard Drumont », obtiendrons-nous 21.400 résultats (3.166 pour MSN). Mais, lorsque nous modifions notre recherche et y associons « l’Affaire Dreyfus », nous n’obtenons plus que 536 résultats (565 pour MSN). Cette recherche complémentaire permet d’approcher au plus près de la masse réellement accessible et consultable sur le sujet. Encore que les termes « Edouard Drumont et l’Affaire Dreyfus » peuvent être cités épisodiquement, sans aucune autre information réelle ou supposée sur l’Affaire. Il peut donc s’agir de textes courts, sans la moindre importance. Il faut là encore relativiser ce résultat.
Conclusion provisoire :
Nous espérons que ce travail aura été utile et qu’il permettra de se faire une vague idée de ce que l’on trouve sur l’Internet. Nous pensons que cette étude mériterait d’être prolongée en 2006, même si nous savons -parce que nous consultons régulièrement les moteurs de recherches- que les sites référencés sont et seront toujours plus nombreux.
Néanmoins, il nous plaît de dire que tous les Internet du monde ne remplaceront jamais une bonne visite aux archives, ni le plaisir que l’on peut trouver à manipuler de vieux papiers, à toucher de vieilles photographies, à feuilleter de vieux livres, à tourner des pages jaunies et à s’émouvoir de ce que l’on tient dans la main.
L’auteur remercie Philippe Oriol pour son aide précieuse.