Tribune
|
Publié le 4 Janvier 2007

L’Iran dévoilé Scènes de la vie quotidienne à Téhéran. Etre Juif en Iran

Le mensuel Géo consacre son très intéressant numéro de janvier 2007 à L’Iran, mais l’angle choisit par le magazine tranche avec d’autres reportages qui ont été présentés ces derniers temps sur l’Iran nucléarisé d’Ahmadinejab ou sur le despotisme des mollahs.


Cette fois, il est question de l’Iran « dévoilé » avec ses « concerts de rock clandestins » ; Géo raconte l’avenue Vali-Asr qui est réputée pour être un « lieu de drague », les jeunes s’y retrouvant le soir, contournent, le temps d’un flirt, les lois islamiques qui limitent les contacts entre hommes et femmes non mariés ; Géo parle de ces Iraniennes qui rêvent d’un nez à « l’occidentale », « lifté et sans bosse » et de ces garçons qui font un pied de nez aux extrémistes, en portant des blousons aux couleurs de l’Amérique.
A Téhéran, le taxi collectif est l’un des lieux où les citoyens s’expriment, plaisantent sur le pouvoir et osent le critiquer. Un journaliste s’est glissé parmi les passagers, avenue Vali-Asr et il rapporte ce qu’il a attendu. « Où est passé l’argent du pétrole qu’Ahmadinejab avait promis d’apporter sur la table des Iraniens ? », s’interroge un passager. Donnez lui du temps ! » réagit un vieil homme. « Pour qu’ils disent plus de bêtises » surenchérit un autre. » « S’il continue à insulter Israël, on va finir par prendre un missile américain sur la tête » acquiesce Ali. Enfin une autre passagère n’a toujours pas digéré l’appel lancé par le président iranien pour que les femmes fassent plus d’enfants. « Il veut créer encore plus de chômeurs ! » Un professeur vient de rejoindre la banquette arrière : « Les enseignants sont virés les uns après les autres », déplore-t-il. « La parenthèse des réformes est verrouillée à double tour ! » Ce professeur fait référence à la purge déclenchée cet automne par le gouvernement iranien : des dizaines d’étudiants activistes virés, des professeurs contraints à une retraite anticipée, des journaux fermés. « Les autorités n’ont pas touché aux foulards colorés des femmes. Mais gare aux individus qui se mêlent de politique ». Tout d’un coup, raconte le journaliste, c’est le silence dans le taxi. Un mollah enturbanné vient de monter à l’avant. Ali s’empresse d’allumer Radio Payam, le "France Info" iranien. « L’énergie nucléaire est notre droit absolu », martèle une foule enregistrée lors d’un meeting officiel. C’est depuis des mois, le slogan du régime iranien, fasse aux pressions occidentales. Agacé, le professeur explose : « Et la liberté d’expression, ce n’est pas notre droit ? » Le mollah égrène son chapelet et finit par descendre un peu plus loin.
Un autre reportage est consacré à la communauté juive d’Iran (1), la plus importante au Moyen-Orient en dehors d’Israël (20.000 Juifs environ contre 70.000 sous le régime du Shah). Depuis 1979, la lutte contre le « régime sioniste usurpateur » est devenu la pierre angulaire de la politique étrangère de ce pays et comme tous les vendredis, les fidèles crient « Mort à Israël », rappelle la journaliste. Pourtant, au pays des mollahs, les Juifs sont « libres » de pratiquer leur culte. Ils peuvent même produire du vin -interdit par l’Islam- pour l’usage religieux. Ils disposent également d’un député au Parlement, à l’instar des Chrétiens. Ils ont aussi leurs écoles, leur bibliothèque, leur hôpital et leurs boucheries casher. Mais leur liberté est largement conditionnelle. « On nous laisse tranquille tant qu’on ne se mêle pas de politique », souffle une femme. Les cours d’hébreu sont formellement interdits, tout comme les cours d’histoire sur la création de l’Etat d’Israël. Il y a quelques mois, poursuit Géo, Haroun Yashayaie osa interpeller dans une lettre le président iranien, en lui reprochant d’avoir qualifié la Shoah de « mythe ». Il s’est en revanche gardé de commenter les autres dérapages d’Ahmadinejab, comparant Israël à une « tumeur » devant être « rayé de la carte ».
Dans la communauté juive, l’inquiétude est présente. Géo rappelle qu’en 1999, treize membres de la communauté, dix de Chiraz et trois d’Ispahan, étaient arrêtés pour « espionnage au profit de ‘l’entité sioniste ‘ » (Israël dans le jargon officiel). Il furent relâchés quelques années plus tard au prix d’une gigantesque mobilisation internationale et après s’être résignés à l’exercice des aveux forcés, sur la télévision d’Etat.
Les Juifs ont peur, mais les langues se délient. « A l’école, se souvient un étudiant, les enfants refusaient de boire dans mon verre, car ils me trouvaient « nadjes » (impur) ». L’autre jour, c’est en pleurant qu’un étudiant est rentré de l’université : devant tous les élèves, son professeur avait raillé la Torah. Enfin, rappelle un autre, dans les films iraniens, les Juifs y tiennent le mauvais rôle et tous les poncifs de l’antisémitisme se déversent : voleurs, escrocs, espions. Résultat, dès que les tensions augmentent avec Israël, les Juifs servent de bouc émissaire. « Nous sommes comme des poissons qui nagent dans un filet », commente l’un d’eux. « Quand ça va bien, les Iraniens laissent le filet dans l’eau. Mais quand ça va mal, ils le retirent ».
Marc Knobel
Géo, Iran, la surprise, janvier 2007, n°335, 4,90 euros.
Note :
1) Je renvoie vers un article du mensuel du judaïsme français, L’Arche, n° 579-580, juillet août 2006 « Les Juifs en Iran : il y a un siècle déjà… » (pp. 96-98). L’Arche rappelle que la condition des Juifs dans ce pays a été marquée, de longue date, par une forte hostilité de la part du clergé chiite. Cette hostilité, qui s’appuyait sur le statut discriminatoire réservé aux dhimmis (non musulmans) dans la société musulmane, prit souvent un tour violent.