Tribune
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Publié le 30 Mars 2004

La « Passion » selon Mel Gibson Un film d’horreur qui se pare des atours de la religion

L’« action » (c’est le mot qui convient) débute au moment de l’arrestation de Jésus. Ce choix a pour avantage d’éluder toute mise perspective contextuelle : qui est Jésus, que prêche-t-il et dans quel cadre, en quoi est-il un danger pour les Juifs mais aussi pour les Romains. Nous ne le saurons pas, pas plus que nous ne sauront quoi que ce soit des personnages et de leur rôle dans la société locale à l’époque.



Avec un peu de culture, on comprend que les personnages retors et sans pitié qui forcent la main, pour qu’il condamne Jésus, à un Pilate sympathique - séduit par Jésus mais surtout préoccupé de faire plaisir à sa femme et de rentrer chez lui – sont les Grands prêtres juifs, tandis que cet hurluberlu intéressé par ses seuls plaisirs est le roi Hérode. La foule hurlante peut, elle aussi, être identifiée comme juive. Pourtant, sans un minimum d’explications, ceux qui n'ont ni culture religieuse, ni connaissance historique de l’époque seront probablement incapables non seulement de comprendre les enjeux politiques, mais tout simplement d'identifier qui sont les personnages qui s'agitent autour de la vedette. Pour eux il y a fort à parier qu'il n'y aura pas de différence entre les juifs de la rue, les grands prêtres, ou les tortionnaires romains sadiques.

Si le contexte historico-politique est évacué, le message chrétien se réduit, lui, à quelques phrases semées par ci par là. Mais surtout il renvoie à une vision peuplée de cauchemars, proche de celle de l’Inquisition, plus obsédée par le mal (symbolisé par la l’omniprésence du diable) que par le bien, et d’où a disparu tout message d’amour et de béatitude. Deux scènes font ainsi frémir : au début du film celle du pied (du christ ou du diable?) s'abattant sur le serpent envoyé par le diable pour tenter Jésus, à la fin celle de Jésus disant au bon voleur repenti qu’il sera à ses côtés au ciel, tandis qu’un rapace massacre en gros plan le crucifié renégat (comment justifier ces scènes quand on prêche qu’il « est facile d’aimer son ami, mais plus difficile d'aimer son ennemi » ?).

Autre élément de cette religion de cauchemar, les enfants. Ceux-ci sont remarquablement absents du film. On va pourtant en voir à deux reprises : ceux qui poursuivent Juda et celui que voit Jésus durant son calvaire. Dans ces deux scènes, les visages des enfants prennent subitement le masque de monstres (Jésus n'avait-il pas dit « laissez venir à moi les petits enfants »?).

Pour le reste le film n’est qu’un long regard complaisant sur la flagellation et la lacération du corps de Jésus par des soldats gratuitement sadiques, puis sur les clous pénétrant dans la chair, pour s’achever sur cette glorification du martyr lorsqu'il est sur la croix « il n'y a pas de plus grande joie que de donner sa vie pour des amis ». Tout cela sur des images inspirées de toiles de la renaissance italienne.

Au total, un film d'horreur qui se pare des atours de la religion. On craignait son antisémitisme, ce qu'il fallait craindre c'est sa totale acontextualisation. Sans inscription dans l'histoire ou dans un message religieux, il ne subsiste qu'une chose : des images sadiques, exploitant le voyeurisme, et une esthétique de la violence gratuite, de la souffrance et du martyr. On comprend pourquoi Arafat a aimé ce film. Les jeunes des banlieues n’y verront, eux, qu’une justification de leur propre violence.

Anne Lifchitz-Krams