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A l’occasion du Ramadan, Al Manar -la chaîne de télévision du Hezbollah libanais- a diffusé en novembre 2003 un feuilleton aux accents judéophobes. Présenté aux téléspectateurs arabes comme une fresque allant de 1812 à 1948, la série « Diaspora » (« Al Chatat ») raconte à sa manière l’histoire du sionisme, tout en véhiculant la thèse d’un vaste complot Juif pour dominer le monde. Dès sa diffusion, le CRIF a profondément influé pour alerter l’opinion publique et placer chacun devant ses responsabilités. Le Procureur de la République du tribunal de grande instance de Paris a requit le 26 décembre 2003, l’ouverture d’une enquête des chefs de provocation à la discrimination, à la haine et à la violence raciale, de diffamation raciale ainsi que sur le fondement de l’article 227-24 (pour les images) du code pénal qui réprime la diffusion de messages violents et de nature à porter atteinte à la dignité humaine accessibles aux mineurs. Quant au gouvernement, il a vivement condamné la diffusion de ce feuilleton. Enfin en juillet, le CSA vient de saisir le Conseil d’Etat pour demander l’interdiction de la chaîne du Hezbollah libanais Al Manar TV, non conventionnée par le CSA. Selon Dominique Baudis, cette chaîne diffuse « des émissions inacceptables qui sont des appels à la haine ». Le Conseil a aussi décidé de coordonner son action avec l’ensemble des pays européens qui rencontrent les mêmes difficultés.
Les libanais prépare une journée de solidarité avec la chaîne Al Manar :
Selon le quotidien libanais francophone L’Orient le Jour du 3 août 2004, les médias audiovisuels libanais et arabes ont été invités par le Conseil national de l’audiovisuel (CNA) à observer le 12 août une Journée de solidarité avec la chaîne de télévision Al Manar. Une commission a été chargée de mener des contacts tous azimuts afin de susciter « un vaste mouvement libanais, arabe et musulman de solidarité avec Al Manar », a déclaré à la presse le président du CNA, Abdel Hadi Mahfouz, à l’issue d’une réunion élargie. Ce mouvement entend signifier que « toute atteinte à Al Manar sera considérée comme une atteinte à n’importe quelle autre chaîne libanaise ou arabe », a-t-il ajouté. M. Mahfouz a affirmé que cette action « prend en considération l’attachement au maintien des relations positives avec la France qui est liée d’amitié avec le monde arabe et musulman ». Le président du CNA a indiqué que la direction d’Al Manar a assuré lors de la réunion qu’elle « ne se placera jamais dans une position contre la France, quelle que soit la décision de la justice française », en laquelle il a renouvelé sa confiance. « Nous considérons que la justice française ne se pliera pas aux pressions exercées par le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), qui a demandé au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) d’arrêter la retransmission en France des émissions d’Al Manar », a-t-il souligné.
M. Mahfouz avait exprimé vendredi son « soutien total » à la chaîne du Hezbollah et indiqué qu’elle était « prête à respecter les règlements et les principes imposés par la loi sur l’audiovisuel en France ». Il avait ajouté qu’après les critiques suscitées par le feuilleton (Diaspora), Al Manar n’avait plus rediffusé ce programme à la teneur violemment antisémite et souhaité qu’Arabsat, qui retransmet en Europe les programmes d’al-Manar, se « solidarise » avec l’organe du Hezbollah, sans préciser les modalités de cette solidarité.
Le Hezbollah continue de mener campagne et fait pression sur la France :
Dans un entretien paru dans La Revue du Liban, N° 3960 - du 31 Juillet - 6 Août 2004, Hassan Fadlallah, directeur du département des informations à Al-Manar répond aux questions de deux journalistes. Le responsable d’Al Manar considère que cette affaire est « une campagne de sabotage contre sa chaîne orchestrée par les institutions juives en France ». Il ne s’agit pas selon le Hezbollah « d’incitation à la violence ou d’antisémitisme » :
Question : Où réside l’erreur de la chaîne concernant l’affaire qui vient d’être portée devant le Conseil d’Etat?
Réponse : Il n’y a pas d’erreur. Il s’agit, tout simplement, d’une campagne de sabotage contre Al-Manar, orchestrée par les institutions juives en France et par le gouvernement israélien qui avait bien dit qu’il fera cesser la diffusion de la chaîne en Europe. Hélas! le Conseil français supérieur de l’audiovisuel est tombé sous ces pressions et nous poursuivons aujourd’hui l’affaire devant le Conseil d’Etat qui décidera, soit de condamner notre chaîne à cesser d’émettre en France, soit de rejeter le recours intenté.
Question : N’ayant pas visionné tout le feuilleton, avez-vous été surpris par certains passages contestés?
Réponse : Nous n’avons pas été surpris, mais suite aux réactions suscitées, nous avons visionné le feuilleton et exprimé nos remarques concernant certains passages qui auraient pu gêner. Cependant, toute cette affaire n’est qu’un prétexte et c’est le rôle et l’existence même de notre chaîne qui est visée. Il ne s’agit pas d’une affaire judiciaire ou technique, mais purement politique.
Question : Croyez-vous que la réaction française est exagérée?
Réponse : L’affaire est mineure et aurait pu être solutionnée autrement. Il ne s’agit pas d’incitation à la violence ou d’antisémitisme. Les chaînes juives sont plus incitatrices à l’encontre des Arabes et on leur permet d’agir en toute liberté. Pourquoi, alors choisir “Al-Manar”? C’est, surtout, en raison de notre engagement pour la cause palestinienne.
Question : Cette affaire affectera-t-elle vos relations avec la France?
Réponse : Nos choix seront faits en fonction de l’arrêt du Conseil d’Etat. Entre-temps, nous continuerons à diffuser, car aujourd’hui on ne peut empêcher les chaînes d’atteindre leurs spectateurs par satellite. Nous redéfinirons nos relations avec les autorités françaises et fixerons notre politique sur la base de l’arrêt ».
Le CRIF rappelle les propos du Premier ministre :
Nous rappelons en ce qui nous concerne un extrait de l’allocution du Premier ministre. Jean-Pierre Raffarin a parlé de la chaîne de télévision du Hezbollah lors du dîner annuel du CRIF, le 31 janvier 2004 : « J'ai considéré de mon devoir, avec plusieurs de mes ministres, de prendre le temps de regarder ces images, insupportables à la vue, brûlantes au coeur, révoltantes à la raison. La scénarisation de la haine est de retour. Évidemment, notre réaction doit être sans complaisance sur la diffusion par quelque moyen que ce soit, et quelle que soit leur provenance, de documents à teneur antisémite ou raciste, ou appelant à la haine raciale ou religieuse. »
Enfin, La France a rappelé mercredi 28 juillet sa détermination à « lutter contre toutes les manifestations de racisme et d'antisémitisme » :
« A la suite de la diffusion par Al Manar en octobre dernier d'un feuilleton à la teneur antisémite d'une violence extrême, le Comité interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme (CIRA), qui se réunit sous la présidence du Premier ministre, a souhaité que soient examinés les moyens juridiques de faire face à la diffusion de programmes manifestement racistes ou antisémites.
Au terme de cet examen, le Conseil supérieur de l'Audiovisuel, autorité compétente en la matière, a saisi le Conseil d'Etat, à travers une requête déposée le 12 juillet dernier, afin d'enjoindre la société satellitaire compétente d'interrompre la diffusion de la chaîne Al Manar.
Cette procédure administrative est actuellement en cours. Nul ne doit douter de la détermination de la France à lutter contre toutes les manifestations de racisme et d'antisémitisme. »
Marc Knobel