Tribune
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Publié le 12 Janvier 2011

Le «J’accuse» d’un journaliste égyptien d´origine copte

Ce texte est publié dans la rubrique Tribunes Libres réservée aux commentaires issus de la presse. Les auteurs expriment ici leurs propres positions, qui ne sont pas inéluctablement celles du CRIF.




Suite au massacre perpétré le 1er janvier 2011 dans une église copte d´Alexandrie, Hani Shukrallah, journaliste égyptien d´origine copte et rédacteur en chef de l´hebdomadaire égyptien Al-Ahram, publie sur le site en anglais du journal un cinglant article d´opinion intitulé « J´accuse ».



« … aujourd´hui, deux siècles après la naissance de l´Etat-nation égyptien moderne, et alors que nous entrons dans la deuxième décennie du 21ème siècle, ce qui paraissait impossible n´est plus inimaginable : une Egypte sans chrétiens, où la croix aura glissé hors de l´étreinte du croissant et du drapeau symbolisant notre identité nationale moderne. J´espère que si ou quand ce jour viendra, je serai mort depuis longtemps, mais que je sois mort ou vivant, ce sera une Egypte que je ne reconnaîtrai pas et à laquelle je n´ai pas envie d´appartenir.



Je ne suis pas Zola, mais moi aussi je peux accuser. Et ce ne sont pas les criminels sanguinaires d´Al-Qaïda ou tout autre gang de truands impliqués dans l´horreur d´Alexandrie qui m´inquiètent.



J´accuse un gouvernement qui semble croire qu´en offrant trop aux islamistes, il saura les circonvenir.



J´accuse l´hôte des députés et des représentants du gouvernement qui ne peuvent s´empêcher d´importer leur propre sectarisme au parlement ou dans les innombrables institutions gouvernementales nationales et locales, d´où ils exercent une autorité brutale sans avoir de comptes à rendre, une autorité désespérément inepte.



J´accuse les institutions étatiques qui croient qu´en renforçant la tendance salafiste, elles affaibliront les Frères musulmans, et qui aiment par moments flirter avec le sentiment communautaire anti-copte, sans doute pour se distraire de problèmes gouvernementaux plus sérieux.



Mais par-dessus tout, j´accuse les millions de prétendus musulmans modérés parmi nous, ceux dont les préjugés n´ont fait que se renforcer, qui n´ont fait que se refermer sur eux-mêmes et devenir un peu plus étroits d´esprit avec les ans.



J´accuse ceux d´entre nous qui se sont furieusement dressés contre la décision d´arrêter la construction d´un centre musulman près de Ground Zero à New York, mais qui applaudissent quand la police égyptienne interrompt la construction d´un escalier dans une église copte du quartier Omranya du Grand Caire.



J´ai été parmi vous, et je vous ai entendus parler, dans vos bureaux, dans vos clubs, à vos soirées : "Il faut donner une leçon aux coptes" ; "les coptes sont de plus en plus arrogants", "les coptes convertissent en cachette les musulmans" et dans le même souffle : "les coptes empêchent les chrétiennes de se convertir à l´islam, les enlèvent et les enferment dans des monastères".



Je vous accuse tous, parce que, dans votre aveuglement fanatique, vous ne vous rendez même pas compte que vous maltraitez la logique et le simple bon sens ; vous accusez le monde entier de parti pris contre vous tout en vous montrant complètement incapables de constater votre propre parti pris, [pourtant] flagrant.



Et finalement, j´accuse les intellectuels libéraux, aussi bien musulmans que chrétiens, qu´ils soient complices, apeurés, ou tout simplement peu désireux de faire ou dire quoi que ce soit qui déplaise aux "masses", d´être restés bras croisés, jugeant suffisant de se joindre à un futile concert de dénonciations... alors même que les massacres s´étendaient et gagnaient en horreur…. »



Photo (Hani Shukrallah) : D.R.



Source : Jérusalem et Religions



"J’accuse" (jerusalem-religions.net)