Tribune
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Publié le 23 Avril 2010

Le déclin du sentiment d’attachement des juifs américains par rapport à Israël : et après ?

Fin 2006, Steven Cohen et Ari Kelman se proposaient d’étudier l’opinion des juifs américains sur Israël, en s’attachant plus particulièrement à distinguer ces opinions suivant les classes d’âges. Cette enquête conduite auprès d’un panel de 1828 juifs américains, “Beyond distancing : young adult American Jews and their alienation from Israel” (Au-delà de la distanciation : les jeunes adultes juifs américains et leur éloignement par rapport à Israël) a permis d’observer une évolution des sentiments des juifs américains, de l’attachement à l’indifférence, voire au détachement et au sentiment d’étrangeté.




L’enquête de S. Cohen et A. Kelman montre que la distance vis-à-vis d’Israël est beaucoup plus marquée chez les moins de 35 ans. On pourrait penser que ce détachement est du à une période dans le « cycle de vie familiale » des jeunes américains. Lorsque les jeunes sont célibataires, en effet, ils se rendent moins à la synagogue et auprès de leur communauté, ce qu’ils feront davantage une fois mariés et chargés du projet d’éduquer leurs enfants. Mais selon les auteurs, ce n’est pas l’effet du « cycle de vie » qui explique le détachement des moins de 35 ans. En effet, on constate une tendance au détachement vis-à-vis d’Israël de plus en plus important de génération en génération chez les juifs américains, et ce depuis 50 ans.



Ce détachement s’expliquerait alors plutôt par le phénomène des « groupes de naissances », c’est-à-dire l’impression sur les consciences individuelles des modes et des représentations historiques. Du point de vue historique, en effet, on peut rappeler que la génération de juifs américains qui éprouvait un fort sentiment de solidarité envers Israël en 1967 voyait dans ce pays un modèle de progrès social, de tolérance, de recherche de paix, un pays efficace, démocratique et fièrement juif. Les personnes nées après 1974 ont commencé à adopter une autre vision, face à des choix israéliens qui leur semblaient plus délicats.



Le préjugé selon lequel les sentiments de distance vis-à-vis d’Israël seraient le propre de la « conscience de gauche libérale » est invalidé par cette enquête. Si dans la génération des 35-49 ans, le détachement vis-à-vis d’Israël provenait davantage des juifs se réclamant de la gauche ; dans la génération des moins de 35 ans, se sont les juifs se réclamant du parti républicain et de l’idéologie conservatrice qui marquent leur distance.



Par ailleurs, l’identité juive américaine se définit au vingt-unième siècle davantage dans les catégories de la religion, de la culture ou de la spiritualité, que dans celle du politique. Les juifs sont bien intégrés avec les non-juifs et les intermariages sont à la fois un symptôme et une cause de cette reformulation de l’identité juive. Dans le cas d’intermariage entre juif et non-juif, l’attachement à Israël décroit. L’intermariage aux Etats-Unis semble en effet favoriser l’émergence d’une identité plus « personnalisée » que « collectivisée », générant une approche plus fluide de l’identité juive et plus critique de la notion de « peuple ».



Enfin, les juifs américains, « de diaspora », ne croient pas nécessairement qu’Israël soit un « centre » dont l’Amérique serait la « périphérie » dans la perspective d’un judaïsme global.



Ce mouvement de distanciation est-il destiné à s’accentuer dans les années à venir ? Qu’en pensent les organisations juives américaines et israéliennes ? Ce phénomène ne présente-t-il pas une opportunité pour le renouvellement de la pensée juive et la mise en œuvre de nouvelles actions aux Etats-Unis et en Israël ? Telles sont les questions que nous aborderons dans cette nouvelle rubrique sur la communauté juive américaine.





Eve Gani
Photo : D.R.