Tribune
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Publié le 17 Avril 2009

Les «mémoires de justice» de Michel Zaoui

A Pessah, il est dit que les juifs se souviennent de l’injustice pour s’interdire de devenir injustes.



Cette méditation de circonstance aurait pu servir d’introduction aux « mémoires de justice » de Michel Zaoui publiées au Seuil. Dans cet ouvrage, cet immense avocat interroge, pour les avoir vécues, la genèse, le déroulement et le sens des trois procès en crime contre l’humanité qui se sont déroulés dans notre pays : Barbie, Touvier et Papon.
En réalité l’auteur a une conviction qui charpente sa réflexion et son livre : ces trois procès n’en sont qu’un et forment la chaîne du tryptique de la Shoah en France : le bourreau nazi d’abord, le milicien français ensuite, et le haut fonctionnaire enfin.



C’est d’ailleurs pour définir la responsabilité propre de Maurice Papon dans la déportation des juifs de Bordeaux que Michel Zaoui a théorisé le « crime de bureau » selon lequel l’agent, ni idéologue ni tortionnaire, devient le rouage aveugle et nécessaire d’une « bureaucratie criminelle ».



Au détour de ses souvenirs, l’avocat mène une analyse sans complaisance sur le caractère exorbitant de ces procédures où il s’agissait, contre notre tradition juridique, de faire usage d’une incrimination inédite pour juger de crimes anciens. A y réfléchir, ce moment judiciaire, qui a duré entre 1987 et 1998, n’a été rendu possible que par la rare conjonction de l’époque où la société était devenue prête à entendre et du temps pendant lequel des survivants pouvaient encore témoigner.



Mais ces procédures s’inscrivent aussi et c’est tout le mérite de l’ouvrage que de le rappeler, dans le chemin sinueux qui sépare les promesses du « plus jamais ça » à Nuremberg de l’instauration d’un véritable ordre judiciaire international qui est encore balbutiant.



Empruntant autant au droit qu’à l’histoire, à Alain Finkielkraut qu’Hanna Arendt, ces mémoires de justice établissent de manière définitive qu’il est impossible d’oublier et difficile de juger. C’est pourquoi il est indispensable de les lire.
Patrick Klugman (diffusé sur RCJ le 17 avril)
Photo (Michel Zaoui) : D.R.