Tribune
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Publié le 16 Décembre 2004

Les réactions à la décision du Conseil d’Etat concernant Al Manar

La chaîne libanaise est obligée d’accepter la décision du Conseil d’Etat qui a sommé le 13 décembre Eutelsat de cesser de diffuser les émissions de cette chaîne. Le lendemain de cette ordonnance, Al Manar demande elle-même à son diffuseur satellitaire Arabsat de cesser sa diffusion sur l’Europe, avant même qu’Eutelsat soit dans l’obligation de casser son contrat avec le diffuseur saoudien qu’elle relaie pour l’Europe grâce au satellite Hot Bird 4.



Réactions libanaises :

La télévision du mouvement du Hezbollah chiite libanais, Al-Manar, se dit victime du « lobby sioniste » et dénonce la décision du Conseil la qualifiant « d'atteinte à la liberté d'expression » et de « dangereux précédent » (AFP). Le journal en ligne Proche-Orient info -qui fait une très intéressante veille médiatique D’al Manar- rapporte les propos qui ont été tenus lors de l’édition du journal du soir du 13 décembre 2004, sur Al Manar : «La réouverture récente du dossier d'al-Manar, après la signature de la convention entre la chaîne et le CSA, est le fruit d'une campagne d'incitation israélienne consécutive à une campagne politique organisée par le lobby sioniste en France contre la convention, alors que la chaîne avait commencé à s'y conformer et à respecter, de l'aveu même du Conseil d'État. » Quant au président libanais Emile Lahoud a de son côté appelé à une position unie des Arabes face à des «pressions politiques bien connues» contre les médias de la région.


Les officiels, les partis et les médias libanais avaient déclaré leur soutien à la chaîne du Hezbollah et l'Etat avait décidé de mener une campagne tous azimuts pour empêcher l'interdiction de sa diffusion sur Eutelsat. Le président du Conseil national de l'audiovisuel libanais (CNA) Abdel Hadi Mahfouz avait menacé les médias français émettant au Liban de mesures réciproques dans le cas où Al-Manar serait interdite en France, citant nommément Radio-France internationale (RFI) et la chaîne française TV5. De son côté, le ministre de l'information libanais Elie Ferzli a adressé un message dans le même sens au secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa. Selon le ministre, les médias français « véhiculent des propos qui s'apparentent au racisme anti-arabe et à des appels à la haine ».


Réaction du quotidien libanais l’Orient le Jour :

Dans son éditorial, le quotidien francophone L’Orient le Jour (14 décembre) critique l’Etat libanais. L’Orient le Jour trouve que ce « qui dérange le plus cependant dans l’affaire d’al-Manar (…) c’est le spectacle d’un État libanais qui se croit tenu, une fois de plus, d’être plus royaliste que le roi : en l’occurrence, plus Hezbollah que le Hezbollah. Il crie à l’infamie, l’État, il jette dans l’arène ses plus outrecuidants manieurs de la langue de bois, il brandit face à la France la menace d’une réciprocité dont il sera en réalité le premier à faire les frais, mais voilà où s’arrête la gesticulation. Le Hezbollah pousse les hauts cris bien évidemment, lui aussi, il organise des sit-in : mais on est assez intelligent à al-Manar (qu’on pourrait traduire par La Balise, ou encore Le Flambeau) pour s’apercevoir qu’il y a tout de même eu erreur de navigation quelque part et qu’il convient donc de rectifier le tir : de modifier certain vocabulaire, de le rendre acceptable pour des téléspectateurs européens, de se doter d’un code déontologique. Que n’a-t-elle jailli à temps la lumière, que n’a-t-elle touché du même coup de sa grâce les obscurs cerveaux étatiques assignés à la claque ! »


Et de poursuivre plus férocement encore : « Qu’une chaîne aussi engagée, aussi militante qu’al-Manar cultive auprès de son public naturel l’esprit de sacrifice et de martyre, qu’elle dénonce à juste titre la barbarie de l’occupation israélienne, est une chose en effet ; qu’elle (Al Manar) verse funestement toutefois dans ce qui est forcément perçu en Occident comme un antisémitisme aussi primaire qu’intolérable en est une autre. Intolérables en effet, et surtout contre-productifs, dévastateurs pour la cause du Hezbollah lui-même, ajouterons-nous, que ces honteux feuilletons confondant stupidement sionisme et judaïsme et allant jusqu’à relativiser un monstrueux génocide lequel, de surcroît, se trouve être la cause directe du malheur qui s’est abattu sur le peuple palestinien. De cette grave dérive, le Liban, qui pourtant se pose en parangon de la coexistence religieuse, en lieu de rencontre des croyances, n’a pas jugé nécessaire de se démarquer. Et cela ne l’honore guère. »


Réactions iraniennes :

Les Affaires étrangères iraniennes ont estimé le dimanche 12 décembre qu'une interdiction d'Al-Manar par la France ne servirait à rien et que la chaîne du mouvement chiite libanais Hezbollah ne faisait que « refléter les réalités » de l'occupation israélienne des territoires palestiniens.

« Al-Manar ne fait rien d'autre que refléter les réalités de la terre occupée », a déclaré devant la presse le porte-parole des Affaires étrangères Hamid Reza Asséfi à la veille d'une décision de la justice administrative française sur le sort de la chaîne, accusée d'antisémitisme. « Fermer un organe de presse, cela ne revient qu'à éluder une question », a-t-il dit.

« De telles approches ne résolvent rien, c'est au régime sioniste (Israël, qu'il appartient de changer de politique », a ajouté M. Asséfi, dont le pays a fait un dogme de la non reconnaissance de l'existence de l'Etat hébreu et du soutien à la cause palestinienne.

La République islamique se défend aussi, contre les accusations américaines et israéliennes, d'apporter un soutien autre que moral et politique au Hezbollah (AFP-12 décembre).


Réactions israéliennes :

Israël s'est félicité de la décision du Conseil d'Etat. « Nous ne pouvons que nous féliciter de cette mesure prise contre cette chaîne qui diffuse des discours de haine féroce contre les juifs, les chrétiens et les pays occidentaux », a affirmé à l'AFP un haut responsable du ministère israélien des Affaires étrangères. « Cette chaîne constituait une menace pour l'ordre public pour l'ensemble des pays européens », a ajouté ce responsable (AFP).


Réactions françaises :

Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture et de la Communication, s'est dit « très fier que la France déclare comme interdits de séjour des propos racistes ». Il s'agit « d'une décision attendue et nécessaire ». (Canal+, lundi 13 décembre) Le ministre a évoqué mercredi 15 décembre la « décision irrévocable » d'interdire la chaîne Al Manar, ajoutant que « les propos à caractère raciste, antisémite, appelant à la violence et à la haine raciale n'ont pas droit de cité en France ». A propos de l'ordonnance du Conseil d'Etat sur une cessation de la diffusion de la chaîne du mouvement chiite libanais Hezbollah, M. Donnedieu de Vabres a indiqué que le Conseil d'Etat a pris une « décision irrévocable, l'interdiction de la diffusion de la chaîne Al Manar ». « Ce n'est pas une décision du gouvernement, c'est une décision de la justice de notre pays, elle s'applique », a ajouté le ministre. « Eutelsat et Arabsat ont ordonné l'interdiction de la diffusion d'une telle chaîne non pas en fonction de l'appellation et du nom de la chaîne elle-même, mais exclusivement fondée sur les propos tenus dans les émissions de cette chaîne. La France est un Etat de droit, nous l'avons montré avec force dans les débats au conseil de sécurité des Nations Unies (...) nous sommes donc cohérents », a déclaré le ministre, qui s'exprimait en marge de la présentation d'une mission "vivre ensemble" en faveur de la tolérance et du respect des différences. Michel Barnier, ministre des Affaires étrangères estime que la décision du Conseil d'Etat d'interdire la diffusion d'Al-Manar, la chaîne du Hezbollah libanais, est « juste ». « La loi française est très claire, il faut que chacun s'y conforme. Il n'y a pas de complaisance à avoir pour des propos qui appellent à la haine. » Sur la longueur de la procédure qui a abouti à l'interdiction de la chaîne, le ministre a reconnu que « c'est vrai que ça prend du temps ». Mais « ce temps qui est pris est un temps utile pour que les décisions prises soient justes ». (France-2, mardi 14 décembre) Hervé Mariton, député de la Drôme et vice-président du groupe UMP à l'Assemblée Nationale : « Cette décision est juste et condamne à bon droit les attitudes extrémistes d'Al Manar dont les messages répétés étaient en complète contradiction avec le droit et les principes de la République ». « Cette affaire avait trop duré, elle est enfin réglée ». Pierre Lellouche, député et conseiller UMP de Paris : « Rien n'empêche Al Manar de poursuivre ses manœuvres dilatoires devant les instances administratives françaises, le Conseil d'Etat n'ayant pas procédé à la résiliation de la convention entre le CSA et Al Manar ». « Il était temps en effet de faire cesser le flot de haine antisémite déversé en France par cette chaîne émanant d'un mouvement terroriste ». « L'affaire Al Manar a montré un grave dysfonctionnement des services de l'Etat et des limites de notre dispositif législatif actuel ». Julien Drai, porte-parole du parti socialiste : « Trois semaines ont ainsi été perdues ». « Tout cela aurait pu être évité si le CSA et le gouvernement n'avaient pas fait preuve d'angélisme et de naïveté dès le départ sur la nature de cette chaîne de télévision ». « Ces images intolérables ne doivent plus être diffusées en France. Elle ne font que développer la haine, l'antisémitisme et l'apologie du terrorisme ».

Enfin SOS Racisme s'est félicitée de « la prise de conscience tardive du Conseil d'Etat » dans un communiqué reçu mardi. « Il est cependant dommageable que cette décision ait été prise après un an de détours juridiques et qu'elle soit assortie d'une porte ouverte à la chaîne Al Manar », Seule l'association Reporters sans frontières semble regretter la décision du Conseil d’Etat. Dans un communiqué, RSF estime que « la fermeture pure et simple d'un média n'est jamais la bonne méthode ». « Ordonner la fermeture pure et simple d'un média n'est jamais la bonne solution », indique RSF dans un communiqué. « Certes, Al Manar a diffusé des propos antisémites inacceptables, mais la précipitation du CSA et des autorités françaises dans cette affaire n'a pas permis de donner le temps de la réflexion nécessaire avant de prendre une telle décision », souligne RSF. Selon l'organisation, la procédure « expéditive » d'une interdiction d'antenne est "inquiétante". RSF se demande si les autorités françaises vont « tenter d'épurer l'espace audiovisuel français » (AFP 14 décembre 2004).

Marc Knobel