Tribune
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Publié le 11 Octobre 2011

Lettre à nos détracteurs, par Valérie Levy-Noel

Ce texte est publié dans la rubrique Tribunes Libres réservée aux commentaires issus de la presse. Les auteurs expriment ici leurs propres positions, qui peuvent être différentes de celles du CRIF.




Qu'est-ce qui vous gêne tant? Et depuis tant d'années…? Qu’Israël soit ce petit pays arrogant, pays d’un peuple "d'élite, sûr de lui-même et dominateur", et pourtant persécuté, et qui peut se vanter d'accomplir des prodiges dignes de grandes nations... un miracle pour son peuple, né de ses cendres, pétri de blessures, agressé sans mesure?



"Une poignée de Juifs qui transforme un désert en pays prospère et démocratique, au milieu d'un océan de dictatures arabes sanglantes, de misère, d'islamisme et de corruption, voilà un scandale".… nous dit Pierre Jourde, en d’autres termes: "cessez d’ envier leurs réussites, moyen trop simple de ne pas assumer vos échecs".



Que reprochez-vous au juste aux Israéliens quand ils se battent pour leur survie, pour leur sécurité? La critique et le débat sont légitimes, la remise en cause de l'existence même de l'Etat d'Israël ne l'est pas.



Sa force lui est reprochée mais faudrait-il qu'Israël soit affaibli pour recueillir le soutien du monde? Cet Etat est la cible d'une campagne mondiale de délégitimation qui ne fait que réhabiliter les monstres de l'histoire en leur offrant une nouvelle tribune.



Faudrait-il qu’Israël se laisse frapper par l'Iran qui appelle à sa destruction? Qu’Israël permette aux roquettes de Gaza d’atteindre ses enfants dans les écoles, ou ne traque pas sans répit les terroristes qui menacent de poignarder des familles au milieu de la nuit…?



Que reprochez-vous à ce pays qui se voit dans l'obligation de s'emmurer, parce que ses voisins n'acceptent pas même l'idée de sa présence, de son existence?



Ce pays que l'Onu et les ONG bien pensantes, et ses supporters de rue qui bafouent les droits de l’homme en se faisant les alliés, même implicites, de mouvements condamnables, n'hésitent pas à isoler davantage en y ajoutant les barrières symboliques de la condamnation morale.
L’israélien est-il le seul tortionnaire à leurs yeux? Où sont les dizaines de milliers de manifestants en Europe et ailleurs pour dénoncer la cruauté d‘Assad?



Faudrait-il qu'Israël refuse le soutien des Etats-Unis, pour ceux qui ne voient pas que c'est aussi et malgré tout, le pays de la liberté?



Qu'attendez-vous de ce peuple, qu’il se laisse agresser sous les yeux aveugles du monde? Ce monde resté muet au temps de la Shoah et qui persiste à se taire face à la terreur qui s'abat sur les populations syriennes. Que lui reprochez-vous? De préférer sa survie à l'assentiment des autres pays quand la respectabilité de ceux-ci demeure discutable. Leur sens éthique procède à un tri sélectif dans l'éventail des opprimés, favorisant le Palestinien au Syrien, au Kurde, ou Nigérian, au Cambodgien…



Israël se doit de défendre les Palestiniens, en tant qu’Etat Juif, parce que les valeurs du judaïsme lui imposent, se doit de les aider à voir leur Etat exister aux yeux du monde, mais ceci dans le cadre d'une paix globale et pas parce qu'il lui aurait été imposé dans un chantage illégitime.



Le monde ordonne à Israël de se défendre, l’y condamne. Israël refuse de sombrer, et c’est inacceptable. Si petit, où ce peuple puise-t-il sa force malgré ses conflits internes? De son histoire, de sa foi pourtant fragilisée, mais qui se survit.



Vous jugez le peuple Juif trop solidaire, vous estimez qu’il privilégie ses intérêts. De quoi l’accusez-vous au juste? … De défendre ses intérêts quand ceux-ci sont menacés, de redouter sans cesse que ne s'abattent de nouveau sur lui les fléaux auxquels il n’a pas toujours réchappé?



Elie Wiesel a passé sa vie de défenseur d'Israël à se justifier de son "judéo-centrisme", de son trop grand sens de la solidarité envers son peuple, pourquoi?



"Si je ne suis pas pour moi qui le sera? " est une instruction biblique.



Après les avoir ghettoïsés on reproche aux Juifs de se regrouper, de favoriser les leurs. Vous récriez leur ‘communautarisme’, mais n'est-il pas d'instinct plus légitime que d'évoluer parmi les siens, quelle société fonctionne différemment? Quel sens auraient les mots culture et tradition s’il en était autrement? L’attachement au premier cercle communautaire n’interdit pas celui à la communauté générale ni l’interactivité avec les autres.



Dans certains endroits du monde, l'enfant qui prend conscience de son identité juive prend simultanément conscience des questions qu’elle engendre. Qu'il évolue avec d'autres enfants juifs, et ses tourments en seront atténués, dissipés. Comment en vouloir à son père s'il refuse qu'il se sente étranger parmi ses semblables?



Ils sont ‘communautaristes’, parfois aussi comme une réponse à leur vulnérabilité.



Vous condamnez leurs réussites parfois visibles, ce fameux "pouvoir juif"... mais de quoi s'agit-il? Faut-il que des lois discriminatoires les laissent à l’écart des sciences, du droit, de la finance ou des médias?… métiers d'influence, métiers d'argent? Ils s’adaptent depuis des siècles à des sociétés pour lesquelles les minorités sont sources de richesse.



Qu'un certain nombre d'entre eux aspire à s'élever vous irrite. Vous conviendrait-il mieux qu’ils tendent à la médiocrité?



Faut-il que les Juifs du monde se taisent quand ils continuent de souffrir de l'antisémitisme, "on en fait trop, on en dit trop", mais pour couvrir leurs voix, les vôtres s’élèvent-elles pour dénoncer ce fléau? Ils redoutent l'antisémitisme, ayant trop souvent subi la haine des autres, la discrimination et les sarcasmes de l'exclusion.



On reproche au Juif de s’organiser, en "sociétés secrètes", loges franc-maçonniques, Bnai Brit et autres institutions philanthropiques, ce fameux "lobby Juif". Il suffit d’être sain d’esprit pour n’y lire qu’une dérive de vos frustrations et fantasmes inspirés des "Protocoles des Sages de Sion", ce faux qui continue à être vendu par milliers d’exemplaires et qui justifie qu’on pousse la thèse conspirationniste jusqu’à l’absurde.



Le peuple Juif ferait de l'holocauste "une industrie", disent les négationnistes? Il utiliserait trop souvent la souffrance des pères pour justifier les agissements des fils ? Mais pourquoi se sent-il trop souvent seul pour rappeler à ses contemporains la plus grande tragédie de l'histoire des hommes, afin qu'ils n'en oublient pas le sens profond, si tant est qu'on puisse un jour en saisir la dimension réelle, et qu'ils en prennent la responsabilité? Car si la victime est juive, la dérive elle, est universelle.



Il évoque la Shoah, le massacre programmé d'un peuple qui n'a pas d'équivalent historique, parce qu’il se doit de transmettre une mémoire qui s'éteindrait avec les derniers survivants et qu’on n’a pas le droit d'effacer. Si cela dérange vos consciences, qu'elles cherchent ailleurs que dans le déni, les moyens de se décharger de ce poids.



Le peuple Juif persiste à léguer, tant que la parole et l'écrit sont à sa disposition, l’histoire de la Shoah, sans fausse pudeur, mais sans compromission, en évitant le plus possible les dérives de la victimisation, dans l’espoir que l’humanité en tire les leçons. Occulter les faits historiques contribuerait-il, selon vous, à élever la civilisation?




La haine est utile, elle est abordable, pensent-ils. L'impartialité, l'objectivité, la raison, sont des voies plus difficiles à emprunter, et peu nombreux sont ceux qui ont le courage de s’y aventurer. Pourtant, ils y trouveraient peut être l'admiration, que peut susciter un peuple pour qui, de toutes les valeurs, la valeur suprême demeure la force de vie.



Photo : D.R.