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Ces récits témoignent d’un vécu, d’une situation, de problématiques diverses et s’inscrivent dans la réflexion que nous entretenons sur une multitude de sujets.
Question : Audrey Lasry, vous êtes professeur d'histoire et de lettres en lycée professionnel, dans le sud de la France. Vous enseigniez l'année dernière dans l'Académie de Créteil, et vous avez supporté tout au long de l'année des insultes antisémites d'une rare violence. Pourriez-vous nous raconter ce qui s'est passé ?
Réponse : De septembre 1999 à juin 2002, j'ai exercé dans un établissement de la région parisienne. J'ai débuté ma carrière en rencontrant beaucoup de problèmes. En effet, dès mon arrivée dans le lycée, mon nom a éveillé la curiosité des élèves. J'ai très vite été surnommée la « prof Feuj », la « Feujette ».
J'ai du faire face à diverses provocations au moment de la reprise des affrontements qui opposèrent Israël et Palestiniens : « Nous on va tous aller se battre avec les Palestiniens, et, vous Madame ? »; mais aussi au salut hitlérien proféré dans la classe. Mais je n'étais pas au bout de mes peines. L'année suivante, alors que je renvoyais de classe un élève, les autres, furieux, et par solidarité, m'agressèrent verbalement, jusqu'à ce qu'un élève cri « Sale Juive ! ». Je quittais la salle en pleurant, ne pouvant faire cours à de tels élèves. Pourtant je fus contrainte de retourner en classe avec eux. Les choses se passèrent à peu près « correctement », jusqu'au jour, où, en rapport à une autre décision disciplinaire, ils décidèrent de réitérer leur haine. Ils avaient bien remarqué que cela m'avait touché, alors ils en profitèrent. Ce fameux jour, je découvrais en faisant l'appel quotidien, le cahier d'appel entièrement rempli de croix gammées accompagnées d'insultes: « Audrey Lasry, sale juive, meure sale juif, vive Hitler, les nazis en forces... » J'ai tenté de garder mon sang froid, et je suis restée en classe, faisant cours dans un silence implacable. Ils pensaient que je repartirais en pleurant. Ce ne fut pas le cas. Ce fut très difficile de retourner en classe avec eux.
Question : Votre hiérarchie vous a-t-elle soutenue ? Quelles ont été les réactions des enseignants ?
Réponse : Ce fut une grande déception de voir que mes supérieurs ne m'apportaient aucun soutien. Dés le début, le proviseur de mon établissement me fit comprendre qu'il fallait minimiser les propos des élèves, les remettre dans un contexte... Mais surtout il me fit comprendre que j'étais débutante et que je faisais des erreurs. En bref, j'étais fautive, surtout que d'après lui j'ai « affirmé haut et fort, dés mon arrivée dans l'établissement, mes convictions religieuses ». En bref, il me laissa complètement seule.
Seul, le proviseur adjoint vint parler aux élèves et les reçut en entretien. Mais aucune sanction ne fut prise, nous n'avions pas l'identité du ou des fautifs. Il me fallait donc retourner en classe, face à eux, si je ne m'en sentais pas capable je n'avais qu'à me mettre en maladie. Voilà ce que l'on me proposa comme solution. Il était hors de question que je m'arrête. Il fallait que je leur prouve qu'ils n'avaient pas gagné. J'y suis donc retourné, mais en parallèle, j'ai cherché du soutien auprès de mon inspecteur pédagogique et du recteur de l'Académie. Tous mes appels restèrent sans suite. Aucune lettre de soutien, aucun coup de fil, aucune visite dans mon établissement... Mes collègues enseignants, par contre, observèrent une journée de grève et envoyèrent un courrier aux parents d'élèves; mais très vite chacun retourna à ses propres soucis, et, hélas, je me retrouvais absolument toute seule face à toutes mes appréhensions.
Question : Comment expliquez-vous que des adolescents puissent exprimer une telle violence et un tel rejet des Juifs ? D'ailleurs, quel était le profil des agresseurs ?
Réponse : Il s'agit de jeunes typiques d'un milieu urbain. Des jeunes des banlieues. Une population melting-pot. Des élèves en échec scolaire, qui manifestent une violence extrême face à toute forme d'autorité. Je suis prof, femme et de surcroît je suis juive. Autant de choses que des jeunes adolescents qui se cherchent ont du mal à supporter. D'autant plus, qu'ils affirment leur culture. Ils ne cessaient de me faire remarquer qu'ils étaient différents de moi. Je ne peux pas dire que ces jeunes étaient antisémites, je ne suis pas sûre qu'ils en mesure la signification exacte. Cependant, ils se plaisent à se montrer agressifs envers ce qui leur est différent.
Question : Des enseignants de confession juive ou des élèves d'autres établissements de la région parisienne ou de province, rencontrent-ils les mêmes problèmes ?
Réponse : Je n'ai pas d'autres exemples de ce type. Cependant avec d'autres enseignants d'histoire, nous remarquons de vives réactions lorsque nous devons aborder la shoah ou encore l'histoire des religions. Beaucoup montrent une hostilité pleine de préjugés dés que nous parlons des juifs. Souvent nous ne savons que répondre à cela. Les enseignants n'ont pas - je dirai même jamais - été préparés à faire cours dans un climat de violence.
Question : Cette année, vous enseignez en province, les choses se sont-elles arrangées ?
Réponse : Les choses sont beaucoup plus sereines. D'autant plus que j'exerce dans un milieu rural, loin de cette haine et de cette violence que nous retrouvons en milieu urbain (notamment en région parisienne). Quelques élèves cherchent toujours à savoir de quelles origines je suis, mais c'est la curiosité des adolescents... Cependant, j'avoue, et c'est malheureux, que je fais tout pour éviter de laisser paraître ma confession. J'ai trop peur – je l’avoue - de devoir revivre ce genre d'histoire, tant mon histoire fut traumatisante...
Propos recueillis par Marc Knobel
Observatoire des médias