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C’est une « évidence » pour tous, qui de ce fait n’a plus besoin d’être démontrée : Le Pen est un fasciste. On a vu les défilés « au nom du maintien de la démocratie » lors des dernières élections présidentielles. Que Jean-Marie Le Pen ait fait le choix de passer par la voie électorale pour atteindre ses objectifs antidémocratiques ne change rien à l’affaire.
Ce n’est apparemment pas une évidence pour tous en ce qui concerne Tariq Ramadan, dont ses exégètes – ne parlons même pas de ses dérapages antisémites - affirment pourtant qu’il ne veut pas « moderniser l’Islam », mais « islamiser la modernité » et qu’il défend l’application de la loi religieuse avant celle de l’Etat. On a vu ailleurs les régimes que cette théorie peuvent amener.
Plus complexe est le cas de M. Aguiton. Car toute l’action de son mouvement ATTAC semble se construire « au nom de la démocratie ». Mais ce qu’ils prônent est une démocratie participative et non la démocratie représentative qui est la notre.
La démocratie représentative consiste à donner à tous les citoyens une voix égale qui s’exprime au moment des élections puis à déléguer pour une durée limitée le pouvoir aux élus qui gouverneront (en principe) selon les idées qu’ils ont développé au cours de la campagne électorale. La sanction étant les élections suivantes. Cette forme de démocratie suppose bien sur une bonne information des électeurs et une honnêteté des élus concernant leurs objectifs. On a vu dans le passé des dictatures se mettre en place à partir d’élections démocratiques.
La démocratie participative consiste en principe à susciter des débats publics sur chaque décision afin de dégager un consensus. Cette forme de démocratie, outre qu’elle n’est souvent pas applicable dans l’urgence des décisions politiques, présente un autre danger qui est celui de confondre consensus, loi du plus grand nombre, et loi du plus fort. Pour être clair, le consensus, c’est la moins mauvaise solution qui se dégage d’une négociation entre différentes opinions.
Pour qu’il y ait consensus vrai, il faut non seulement qu’il y ait égalité dans l’information mais aussi dans les moyens de s’exprimer pour tous les citoyens. La loi du plus grand nombre, c’est imposer à tous, pour clore chaque débat, l’opinion majoritaire, les autres opinions étant alors priées – du fait même qu’il y a eu débat – de ne plus s’exprimer. La loi du plus fort, ou de celui qui crie le plus fort, consiste à contourner la démocratie et à remplacer le débat d’idées par des manifestations concurrentes de groupes de pression différents, chacun tentant d’imposer son point de vue à la « majorité silencieuse », le débat est confisqué par quelques fortes têtes, et l’on est tenté de ne plus débattre « qu’entre soi », entre personnes partageant les mêmes opinions : c’est ce qu’on appelle l’agitprop. Or le mouvement altermondialiste, fondé par M. Aguiton est largement tenté par cette forme particulière de ce qu’ils intitulent « démocratie participative ».
Ce danger là, pour réel qu’il soit est beaucoup plus difficile à percevoir et en tout cas beaucoup moins médiatique. Pourtant, le fait que la chaîne publique ait choisi d’opposer à un ministre de la République ces trois adversaires de la démocratie est certainement révélateur des démons actuels de notre société.
Outre les déclarations sur sa possible candidature aux élections présidentielles, on retiendra que Nicolas Sarkozy s’est prononcé pour la « discrimination positive » : « Il faut que les musulmans de France aient des exemples de réussite pour croire dans la République ». A la question sur le fait que les administrés ne devraient pas connaître la religion de leur préfet, il n’a pas répondu clairement. Le communautarisme ? « Quand l’Etat ne les défend plus, on est bien obligé de se retrancher derrière sa communauté ». La loi sur la laïcité ? : « je ne veux pas qu’on couvre la France d’écoles confessionnelles ».
Face à Tariq Ramadan, il n’a pas cédé d’un pouce et l’a, selon son expression, « débusqué » : « votre texte était une faute, pas une maladresse. Quand on commet une faute, on s’excuse ». Sur quoi Tariq Ramadan n’a fait que répéter qu’il n’était pas antisémite. Sur la lapidation des femmes ? « votre frère a prôné la lapidation des femmes, vous-même avez préfacé un ouvrage qui affirme qu’il faut frapper les femmes, alors, prononcez-vous sur ce sujet ». La proposition de « moratoire » évoquée par l’interpellé l’a fait bondir : « face à une telle monstruosité, on ne propose pas un moratoire, on condamne ». Sur le voile : « Quand je vais dans une mosquée, j’enlève mes chaussures. Quand on veut s’intégrer, on fait des efforts. Dans nos écoles, on est tête nue. Etes vous prêt à dire aux jeunes filles d’enlever leur voile ? ». Tariq Ramadan a bégayé et n’a pas répondu.
Face à Christophe Aguiton : Il réussit d’abord à lui faire dire que « c’est bien de lutter contre la délinquance car ce sont les plus pauvres qui en sont les victimes ». Puis lui assène : « Ne racontez pas d’histoire aux Français ». « La France n’est pas isolée dans le monde ». « Est-ce que vous croyez que c’est en refusant le monde tel qu’il est qu’on va pouvoir répondre à cette question [de donner du travail aux chômeurs] ? »
Face à Le Pen, le « démasquage » fut plus facile qu’avec Tariq Ramadan : « Moi quand je me regarde dans la glace, au moins j’ai l’impression d’essayer de faire quelque chose et vous, qu’est-ce que vous faites ? ». « Vous êtes allé à Budapest l’invité d’un parti politique dont le vice président a déclaré « Il faut parquer les Juifs sinon ils vont prendre notre place », vous n’en avez pas mare de fréquenter ces gens là. A force, ça finit par déteindre ». L’interpellé a perdu de sa superbe et n’a su que reprendre la litanie dix fois répétée dans les dix minutes : « vous vous intéressez au racisme anti noir, anti musulman, anti juif, mais pas au racisme anti français ». Ironique le premier ministre joue de la colère de son adversaire : « Regardez dans quel état vous vous mettez, vous donnez une image bien basse du débat politique ». Plus l’émission avançait, plus le visage de Jean-Marie Le Pen devenait hargneux et plus il tombait dans l’invective : « fils à papa ! » a-t-il fini par dire à bout d’argument.
Anne Lifshitz-Krams