Tribune
|
Publié le 19 Mars 2004

Portrait d’un polémiste : Jacques Givet

Jacques Vichniac, plus connu sous le nom de Jacques Givet (1917-2004), nous a quittés. Né à Moscou, entre la révolution de Février et celle d’Octobre, ce fut un combattant pour toutes les causes justes en général, et celle d’Israël en particulier. Ecrivain et poète de langue française par passion, traducteur international de métier, il était très sensible au mot, au mot juste, à son utilisation et à son emploi… C’est ce qui peut-être le rendit un polémiste redoutable.



Dans toute polémique on est obligé de se faire âpre et vif, à la limite même agressif, et Jacques Givet en avait pressenti les difficultés tant et si bien qu’il déclarait : « La polémique requiert au préalable le sombre froncement de sourcils et le fiel que l’on sent monter à la gorge, … exige l’apprentissage d’un style allant du sarcasme vengeur à la vacherie en douce ». Il assurait que pour ce genre il n’était pas préparé … Ce qui était vrai, mais pas tout à fait juste.

Jacques Givet était pétri de cette inquiétude juive qui le rendait si proche de tous les combats contre toutes les injustices. Cette lutte permanente il la portait en lui, échappé par miracle à la mort il s’évade d’un train de déportés – alors que tous les siens sont gazés dans les camps de la mort. Il s’engagera très tôt, de toute sa force, de toute son âme, dans cette lutte afin de rapprocher des lendemains qui chantent tous ceux qui se réclament de la fraternité humaine.

Durant la Résistance, avec Jankelevitch et Cassou, il dirigea ces réseaux des soldats de l’ombre. Mais ce ferment il le lassera pousser, et on le retrouvera durant toutes ces trente dernières années – période de la décolonisation- au sein de toutes les causes justes. Et sa maison sera cet antre où se reconnaîtront les combattants du FLN, les hommes du réseau Jeanson, puis les Biafrais, les Ethiopiens, les Kurdes, les Sahraouis … Quand Ben Barka devra être accueilli, c’est chez les Givet qu’on le retrouvera, et quand enfin, bien avant les rencontres de Jérusalem et de Camp David, son domicile sera le lieu de réunion privilégié de toutes les bonnes volontés qui ont tenté de trouver des voies au conflit du Proche-Orient, les voix étaient chez lui nombreuses et multiples.

Ce passé de militant, qui révèle à coup sûr une sensibilité particulière, illustre (si besoin était) combien Givet a de tout temps manifesté sa solidarité active à tous les opprimés. Son action est guidée par la haine de l’injustice et de l’absurde.

Et cela, il l’a vécu, déchiré comme le poète qu’il est entre une passion pour la justice qu’il voudrait pour le plus grand nombre et une logique rigoureuse et cartésienne.

Il était donc inévitable que Givet irrite bien des gens, mais la vérité seule est révolutionnaire – et ce n’est pas par hasard que son dernier ouvrage porte en exergue cet aveu de Pierre Goldman : « Nous fûmes quelques gauchistes juifs à être retenus au seuil du soutien à la cause palestinienne par l’antisémitisme indiscutable qui suintait en sourdine du discours pro-palestinien». Il faut rappeler que le premier, après les évènements de 1968, il avait publié un pamphlet prophétique « la gauche contre Israël ? », avec un sous titre tristement actuel encore, « essai sur le néo-antisémitisme » qui a marqué les étudiants de cette génération, et le dernier numéro de l’Arche l’illustre très intelligemment.

A ma vieille amie Isabelle Vichniac, et à son fils, ces mots qui n’auront pas la puissance de celle de Jacques mais qui sont le témoignage d’une amitié qui ne souffre pas de silence.

Claude Sitbon