Tribune
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Publié le 18 Octobre 2011

Pour Gilad Shalit et l’idée de justice, par Patrick Klugman

Ce texte est publié dans la rubrique Tribunes Libres réservée aux commentaires issus de la presse. Les auteurs expriment ici leurs propres positions, qui peuvent être différentes de celles du CRIF.




Après 1935 jours de captivité, le jeune otage franco-israélien Gilad Shalit devrait être libéré. Il est heureux que la langue française soit assez riche pour permettre un emploi qui traduise tout à la fois l’espoir, l’impatience et la crainte car il « devrait être libéré » mais n’est pas encore libre.



Depuis que j’ai été investi avec Pierre-François Veil de la mission de le défendre en France, je désespérais de voir un jour la mention « Gilad libéré » remplacer « Liberté pour Gilad » sous les portraits du jeune homme qui sont apposés dans différents lieux publics de notre pays.



Gilad Shalit n’est pas tout à fait libre mais au moins est-il vivant. De cela nous sommes aujourd’hui à peu près certains et c’est déjà immense.



A défaut d’avoir pu rencontrer Gilad Shalit, l’image que je n’aurais jamais cru voir ; celle pourtant que je garderai comme le précieux témoignage de ces derniers moments d’agitation, est le sourire qui éclaire le visage de Noam et Aviva Shalit. Pour la première fois depuis 1935 jours, ils ont cessé de souffrir et en dépit de la prudence qui est encore de mise, ils n’ont pu s’empêcher de sourire.



Lorsque l’écrivain David Grossman a enterré son fils après la dernière guerre du Liban, il a eu cette phrase magnifique : « notre famille a perdu la guerre ». Le 25 juin 2006, quand le rapt du jeune garçon de 19 ans a été connu, la famille Shalit devait commencer la sienne. Gilad est devenu un drapeau et un étendard pour les siens comme pour tous les hommes et les femmes épris de justice et de liberté.



Le premier combat de la famille Shalit, le plus âpre, a été de s’engager dans une lutte inégale contre l’oubli qui guette les causes les plus nobles et contre la lassitude, qui après cinq longues années, gagne même sur les cœurs les plus vaillants.



Noam et Aviva avaient un métier, ils l’ont abandonné pour n’être plus que les parents du garçon qui leur avait été retiré. Ils avaient une maison ; ils l’ont abandonnée pour une tente ouverte à tous, érigée devant la résidence du premier ministre israélien.



Noam Shalit a entamé un long périple qui devait l’amener à traverser Israël à la marche suivi par des dizaines et des dizaines de milliers de personnes.



Ensemble, nous avons saisi la justice française du crime d’enlèvement et de séquestration dont Gilad Shalit est encore à cette heure la victime. Le père du jeune homme a interpellé sans relâche la Croix rouge, des chefs d’Etat, de gouvernement, des diplomates, des responsables d’ONG et jusqu’à l’assemblée générale de l’ONU, où il s’est rendu au mois de septembre dernier, pour réclamer à la face du monde que son fils lui soit rendu.



Je souhaite à tous les enfants d’avoir de tels parents et à aucun parent d’avoir un enfant retenu en otage pendant cinq ans sans savoir où il se trouve ni même s’il est vivant. Car il n’est pas possible de réaliser ce que la nouvelle de sa libération imminente représente sans mesurer ce qui a valu à Gilad Shalit de connaître le triste privilège d’être le plus ancien et le plus jeune otage français en captivité.



Gilad Shalit accomplissait son service militaire obligatoire lors de sa capture. Il dormait avec son unité dans une localité israélienne – Kerem Shalom – que même le plus obtu des négociateurs palestiniens ne revendiquerait pas.



J’ai entendu parfois que Gilad Shalit aurait été un « prisonnier de guerre » mais je me demande encore, après cinq années le nom de cette guerre dont il aurait été malgré lui le seul captif.
Faute de guerre, Gilad n’a pas davantage été un prisonnier. Un prisonnier se trouve dans une prison. Et cette prison, n’est pas un lieu inconnu dans un pays inconnu. Il est détenu en vertu d’un motif, d’une raison, d’une décision qu’il connaît et qu’il peut au moins contester. Le prisonnier peut recevoir la visite de sa famille, d’un médecin, d’un avocat. Il peut recevoir du courrier. En envoyer aussi. C’est de tout ce qui fait d’un homme un sujet de droit que Gilad Shalit a été arbitrairement privé depuis le 25 juin 2006.



Les droits fondamentaux qui ont été retirés sans autre forme de procès à Gilad Shalit ont en revanche bénéficié aux 1027 détenus palestiniens dont Israël a accepté la remise en liberté pour obtenir le retour du jeune homme. Ils ont été arrêtés, jugés, condamnés par des juridictions devant lesquelles ils ont pu se défendre. C’est pourquoi je tiens pour un outrage l’assimilation hâtive et grossière qui a été faite par des commentateurs légers comme Pascal Boniface, de Gilad Shalit à ces prisonniers qui n’ont rien en commun si ce n’est la bonne fortune d’avoir bénéficié d’un accord portant sur leur libération respective.



Bien qu’il soit encore trop tôt pour savoir si les responsables des terribles épreuves qu’a subies Gilad Shalit répondront un jour de leurs actes, il est certain que s’il était mis un terme aux assimilations outrageantes entre des détenus palestiniens et un otage franco-israélien et, en définitive, entre la victime et les auteurs d’actes criminels, nous pourrions déjà estimer que le travail de justice pour Gilad Shalit aura commencé à faire son œuvre.



Photo : D.R.



Source : La Règle du Jeu