Le Conseil de Sécurité a seul le droit d’accepter un nouvel Etat membre. Il faut que le postulant recueille 9 voix positives parmi les 15 membres du Conseil, et cela en l’absence de veto de l’un des cinq représentants permanents : les Etats Unis ont annoncé qu’ils en déposeraient un : la demande palestinienne est donc vouée à l’échec. Mais il n’est pas indifférent que celui-ci provienne de ce seul veto (avec les manifestations anti-américaines qui s’ensuivraient) ou de l’incapacité pour les Palestiniens à recueillir les neuf voix favorables nécessaires : si le Liban et les « Brics » (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) vont voter l’admission, les Etats Unis, la Grande Bretagne, la France, l’Allemagne et le Portugal ne déposeront pas un vote positif. Il reste les « switch states » (états de bascule), Colombie, Bosnie, Nigéria et Gabon. Les Palestiniens ne sont pas sûrs de disposer des neuf voix nécessaires (ils en revendiquent huit actuellement) et savent qu’un échec aurait une influence symbolique très négative. Dans ce bras de fer, les menaces contre les Américains n’ont pas manqué (par exemple le puissant prince Turki d’Arabie Saoudite), et les réactions de ceux-ci non plus…..
Mahmoud Abbas pourra alors se tourner vers l’Assemblée Générale laquelle, à la majorité simple, lui accordera – il n’y a pas de doute là-dessus - ce qu’elle peut, et seulement ce qu’elle peut : un statut d’Etat non membre, comme le Vatican ou dans le passé, la Suisse. Notons avec étonnement que certains pays qui remplissent des conditions de souveraineté adéquates (notamment l’autorité régalienne sur un territoire défini), ne bénéficient pas de ce statut, tels le Kosovo ou Taiwan à cause de l’opposition de la Russie pour l’un, de la Chine pour l’autre, deux grands pays qui ont su se ménager dans l’ancien tiers-monde un réseau d’alliances qui évite aux uns et aux autres des votes désagréables. Les Américains n’y sont pas parvenus et les Israéliens évidemment encore moins.
L’OLP a obtenu en 1974 un statut d’observateur permanent à l’ONU, transféré à l’Autorité palestinienne et on peut se demander ce que cette augmentation de statut va apporter: un surcroît de prestige, si l’Assemblée vote de façon massive, mais aussi un surcroît de moyens juridiques pour poursuivre devant les instances pénales internationales les dirigeants, voire les citoyens israéliens. Abu Mazen n’a d’ailleurs pas fait mystère de son intérêt à s’engager dans cette « law-fare » (guerre juridique) : ce serait évidemment incompatible avec toute négociation avec Israël.
Le discours de M. Abbas :
Le long discours de Mahmoud Abbas à l’ONU ne se résume pas aux feuillets brandis de la demande d’adhésion déposée auprès du Conseil de Sécurité. Il présente un récit (« narrative ») de l’histoire du conflit et, bien qu’il dise qu’il n’est pas venu pour délégitimer Israël, mais pour délégitimer l’ « occupation », ce récit est bien décevant ; il est même inquiétant.
La première salve d’applaudissements au cours de son discours, particulièrement nourrie, s’est déclenchée lorsque Mahmoud Abbas a évoqué Yasser Arafat : c’est en effet au même endroit, en novembre 1974, que Arafat, accueilli comme un chef d’Etat, tenue militaire, keffieh et étui de pistolet bien visible, a prononcé un fameux discours qui s’achevait sur la « branche d’olivier » qu’il ne fallait pas « laisser tomber de ses mains ». Un rameau d’olivier, on le sait, très virtuel. Il avait demandé un Etat commun pour les Arabes et les Juifs, qu’il promettait – évidemment- harmonieux, démocratique et pacifique. L’accueil de la salle avait été enthousiaste : à l’ONU, les régimes communistes de l’époque ont disparu, mais les majorités anti-israéliennes systématiques sont restées. Un an plus tard, le 10 novembre 1975, l’Assemblée Générale allait se déshonorer en décrétant que le sionisme est une forme de racisme.
Mahmoud Abbas a tenté de se mouler dans la narration de Yasser Arafat, 37 ans plus tard. Avec une dominante différente. Arafat présentait les Palestiniens comme un peuple en lutte contre le sionisme, variante locale du colonialisme. Abbas les présente comme un peuple victime.
Ils sont, dit-il, le seul peuple du monde privé de ses droits nationaux: cette phrase qui témoigne d’une méconnaissance historique impressionnante, n’a pas été relevée par les commentateurs, tellement elle entre dans la doxa anti-israélienne. Oubliés, les dizaines de millions de réfugiés dont l’UNWRA n’a pas pour mission de s’occuper. Passés sous silence, les peuples en lutte pour leur autonomie, comme le peuple kurde qui a des milliers d’années d’existence. alors que le peuple palestinien en a une cinquantaine tout au plus. S’il était ancien, d’ailleurs, pourquoi la Jordanie et l’Egypte, en possession de la Palestine des « frontières de 1967 » (autrement dit la ligne verte, ligne de cessez-le-feu de 1949), n’y ont-elles pas établi un Etat ?
De plus, cette phrase ne néglige-t-elle pas un autre peuple, le peuple juif ? M. Abbas est-il disposé à lui reconnaitre l’existence de ses droits nationaux ? La réponse n’est pas claire : s’il accepte (différence avec le Yasser Arafat de 1974) l’existence d’un Etat d’Israël, on ne sait pas s’il ne s’agit pas pour lui d’un Etat à la démographie évolutive qui pourrait changer de nom si les réfugiés palestiniens, leurs enfants et petits-enfants venaient s’y installer. Autrement dit deux Etats pour deux peuples ou deux Etats futurs pour le seul peuple palestinien ? Tout récemment, l’Ambassadeur de Palestine au Liban a exclu que les réfugiés palestiniens au Liban pussent vivre en Palestine avec la nationalité palestinienne. Comme le Liban refuse de leur donner la nationalité libanaise, doit-on conclure que leur pays de retour est le territoire d’Israël en deçà de la ligne verte ? Cette ambiguïté majeure n’a pas été levée par le discours de l’ONU.
Dans ce discours, les Palestiniens vivent une vie misérable à cause des Israéliens, ils sont victimes d’apartheid, d’épuration ethnique, d’arrestations arbitraires, de meurtres, de destructions de propriétés et de ressources agricoles. L’horreur…comment ne pas compatir? Musulmans et chrétiens ( ?) ne peuvent exercer leur religion en liberté, alors même qu’ils vivent sur la terre sainte des monothéismes, habitée par Jésus et visitée par Mahomet (cherchez l’oubli).
L’occupation, dit-il, est le crime absolu, elle s’accompagne d’expulsions, de confiscations, de fouilles archéologiques malveillantes, de catastrophes médicales dues à l’attente aux checkpoints et d’arrestations arbitraires. Et puis, il y a les « constructions », et chacun de comprendre : encore des familles palestiniennes chassées de leurs lieux de vie. On n’attendait pas du Président de l’Autorité Palestinienne, une description objective des conditions dans lesquelles se font les constructions: on n’a pas été surpris. Qui pouvait imaginer par ses paroles que ces constructions ont lieu sur des terrains non habités, pour faire face à une croissance naturelle, qu’elles n’entrainent pas de spoliations, que Jérusalem n’est pas pour les Israéliens un territoire occupé, mais le cœur même de leur pays ? Ce problème des constructions n’en avait jamais été un, y compris pour M. Abbas lui-même, avant que l’administration Obama ne commît l’erreur de le placer au devant de la scène, en facilitant les confusions et les crispations à son égard….
Le « mur », dit Mahmoud Abbas, est un instrument de discrimination et de colonisation. Aucune allusion aux contraintes de sécurité pour lesquelles il a été construit et à l’arrêt du terrorisme qui a suivi. Mais le terrorisme ne vient apparemment que des « colons ». Les prisonniers palestiniens en Israël, qu’il faudra libérer immédiatement, sont, eux, des « combattants de la liberté ». Les assassins du bébé Fogiel aussi ?
M. Abbas insiste sur la misère dans laquelle les Israéliens plongent les Palestiniens : les visiteurs de Ramallah apporteront des correctifs… ; il se prévaut des succès « extraordinaires » de l’Autorité palestinienne dans la construction des infrastructures d’Etat. Mais il ne dit pas que le peuple palestinien « abandonné de tous » reçoit une aide considérable de la part de la communauté internationale, et que le gouvernement israélien honni en facilite l’acheminement.
Le Président Abbas se présente comme tout chef d’Etat « normal », contrôlant l’ensemble d’un territoire où règne l’ordre et le respect de la loi démocratique. Ce n’est pas de lui qu’on peut savoir que l’Autorité palestinienne, malgré les accords signés, n’a aucune influence à Gaza, que ses membres y sont pourchassés, que la Charia y règne sous son aspect le plus régressif, que l’idéologie y est officiellement contraire à la recherche de la paix qui est un des prérequis pour se constituer en Etat d’après la charte même des Nations Unies. Oubli proprement hallucinant: pas d’allusion au Hamas dans le discours du Président Abbas! Il n’y en a d’ailleurs pas non plus dans le discours du Président Sarkozy….
L’Etat palestinien serait établi sur les frontières de 1967. Pas d’allusion aux adaptations territoriales pourtant prévues dans la résolution 242 du Conseil de Sécurité. Jérusalem Est en serait la capitale, comme si les Juifs n’avaient pas été des habitants longtemps majoritaires dans la vieille ville d’où ils ont été expulsés en 1948. Signalons le récent sondage, d’intérêt exceptionnel et publié dans la Newsletter du CRIF, effectué pour la première fois auprès des résidents arabes de Jérusalem : 70% d’entre eux ne veulent pas être placés sous l’autorité d’un gouvernement palestinien (David Pollock pour le Council for Foreign Relations, analysé en détail par Michel Gurfinkiel…).
Les non-dits du discours
Mahmoud Abbas parle de paix, mais la façon dont il distord les faits ne laisse pas d’inquiéter. Il prend à témoin une Assemblée Générale de l’ONU acquise à sa cause, sans s’adresser à son interlocuteur israélien, le seul avec qui la paix peut se construire, dans des négociations bilatérales qu’il a déjà esquivées à plusieurs reprises en leur imposant des préconditions qui videraient de leur substance les discussions ultérieures. Dans son discours, on trouve deux couches superposées de revendications: si on en traite une, c’est l’autre qui montera à la surface. La strate superficielle provient de la guerre de 1967 et la strate sous-jacente provient de la guerre de 1948. A aucun moment, il n’est rappelé qu’elles ont suivi des défaites militaires dans des conflits où, par deux fois, l’agression provenait des états arabes. Deux humiliations successives dont le deuil est comme impossible.
Et c’est pourquoi le « droit au retour » est agité dans les discours en arabe comme l’objectif à atteindre; il se lit en filigrane dans le discours de l’ONU. Il correspond à la fin de l’Etat d’Israël : comme le dit mon ami Meir Rosenne, personne ne peut exiger d’un Etat qu’il se suicide. Les praticiens du conflit ne sont pas dupes, et certainement pas les Israéliens. Ce point est capital: la reconnaissance d’un peuple palestinien par Israël impose la reconnaissance d’un peuple juif par les Palestiniens. Elle est incompatible avec le droit au retour en Israël des réfugiés palestiniens.
Priorité aux négociations bilatérales, comme le demande aussi le quartette, engagement de reconnaître Israël comme Etat du peuple juif (deux Etats pour deux peuples…), de ne pas chercher à déclencher une campagne d’intimidation juridique anti-israélienne qui bloquerait toute discussion, ce sont là les exigences que Nicolas Sarkozy a soulignées dans son discours à l’ONU en assignant aux négociations un calendrier volontariste. Que ces exigences soient remplies, et le statut d’Etat non-membre (et plus si accord) ne pose pas de problème, qu’elles ne le soient pas, et ce statut ne sera qu’un outil supplémentaire pour délégitimer Israël.
Le Président de la République pense que le « printemps arabe » impose un tempo accéléré aux négociations et considère qu’Israël doit répondre aux attentes qu’il a suscitées: personnellement, je continue de me réjouir de la chute des dictateurs, qui confirme effectivement que les gravissimes problèmes internes des sociétés arabes en révolte n’avaient rien à voir avec Israël. Je suis fier du rôle que la France a joué dans la chute du pantin sanguinaire et grotesque qui a trop longtemps présidé la Libye et auquel le monde, et singulièrement l’ONU, a accordé de façon honteuse les honneurs les plus prestigieux. Mais je ne vois pas pourquoi les transformations dans le monde arabe devraient, ipso facto, entrainer des concessions israéliennes Je pense que ce printemps se refroidit à grande allure et qu’il risque, quelles que soient les positions israéliennes, qui ne seront jamais suffisantes, de retrouver vite le vieux bouc émissaire fédérateur à si bon prix.
Comment résoudre des problèmes communs sans se parler, sauf à se faire la guerre ? Comment esquiver le dialogue et ses contraintes ? Contrairement à la doxa ambiante, représentée de façon caricaturale et scandaleuse par l’émission de France 2 d’hier soir, lundi 3 octobre (« un œil sur la planète ») l’intransigeance n’est pas, loin de là, du seul côté des israéliens. Mahmoud Abbas est leur interlocuteur naturel. Il a toujours fait partie de ceux qui ont préféré les risques de la négociation aux risques du conflit armé. Il lui est psychologiquement et matériellement difficile d’abandonner des revendications illusoires et plus encore, de prendre la responsabilité d’annoncer cet abandon à son peuple. Chacun sait que le résultat des négociations ne contentera au fond personne. C’est la dure responsabilité des hommes d’Etat que de concilier le renoncement à certains espoirs du passé, la lucidité implacable dans les rapports de force du présent et la confiance contagieuse dans les progrès du futur.
Photo : D.R.