Tribune
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Publié le 2 Avril 2010

Shimon Peres à paris - entre écrire l’histoire et la faire, les « nouveaux historiens »

En attendant la venue en France du président de l’État d’Israël, Shimon Peres, qui sera à Paris à la mi-avril où il inaugurera, notamment, l’esplanade David Ben Gourion dans le 7ème arrondissement de la capitale, nous poursuivons la publication, en bonnes feuilles, d’ extraits du livre qu’il a écrit en 2003 en collaboration avec Jean-Pierre Allali, Un temps pour la guerre, un temps pour la paix (Éditions Robert Laffont).



Aujourd’hui : entre écrire l’histoire et la faire, les « nouveaux historiens »



Je fais partie de ceux qui ont fait l'histoire de notre pays. Quand je me permets de rappeler tout simplement la vérité, je vois le spectre des « nouveaux historiens » israéliens (1) resurgir et brandir un doigt vengeur : « Les choses ne se sont pas réellement passées ainsi, les Arabes n'ont pas fui la Palestine en 1948. On les a chassés. Jamais le grand mufti Hadj Amine el-Husseini ne les a incités à quitter les lieux provisoirement afin d'y revenir quand le territoire aurait été expurgé des Juifs qui s'y étaient installés... » Ces gens-là écrivent l'Histoire. Moi, je l'ai vécue. Ce sont deux choses complètement différentes, parce que si certains prétendent avoir découvert quelques bouts de papier où Ben Gourion aurait dit ceci ou cela, moi, personnellement, j'ai été aux côtés de Ben Gourion pendant dix-huit ans. Jour et nuit. Je peux vous assurer que je connais parfaitement sa position à cette époque. Il était opposé à l'idée de forcer les Palestiniens à quitter leurs villes et leurs villages. Bien au contraire. Certains disent vraiment n'importe quoi. Je veux bien qu'ici ou là il y ait eu quelques erreurs ou omissions dans la relation de l'histoire d'Israël mais, pour moi, les nouveaux historiens ne décrivent pas la réalité. J'ai vu des choses, j'ai participé à des événements et même si je ne peux pas prétendre à l'objectivité, je pense que je m'astreins à la plus grande honnêteté intellectuelle possible.



Quelques années avant, c'eût été impossible. Quelques années après, il eût été trop tard. L’aventure de la renaissance d'Israël a été tellement extraordinaire, il a fallu que tant de fenêtres d'opportunité s'ouvrent au bon moment pour que ce qui paraissait être un mirage inaccessible se réalise, que les ennemis irréductibles d'Israël, jaloux et vindicatifs, reviennent à la charge. Israël, clament-ils, n'est qu'un accident de l'Histoire. Cet État n'a pas d'avenir et il est appelé à disparaître dans un futur proche. Du fait de l'importante minorité arabe, de sa forte démographie, de la guerre, des velléités de départ de certains habitants, l'État hébreu n'en a plus pour longtemps. À ces oiseaux de mauvais augure, je veux répondre sans ambages.



Israël, ce sont trois choses : la terre, le peuple et le concept. Et, au lieu de voir, au cours des siècles, le peuple garder le concept, c'est le concept qui a gardé le peuple. Le peuple juif, plus que tout autre peuple, a connu des pertes humaines tragiques : les persécutions, les conversions forcées, les pogromes, la Shoah... Et, pourtant, nous avons survécu à tout cela. Nous sommes toujours là, des milliers d'années après notre dispersion. Nous sommes un peuple modeste par le nombre, mais, on peut le dire sans forfanterie, assez grand par ses idées, sa philosophie, sa foi. On ne trouve nulle part dans l'Histoire d'autre exemple de groupe humain porté par une telle détermination révolutionnaire et par un tel désir millénaire et tenace de changement de sa condition. À cela s'ajoutent notre grande culture et nos traditions construites au cours des siècles dans des centaines de pays et de contrées à travers le monde. Bien entendu, les choses changent, évoluent. Israël change. Mais la France aussi change, avec, notamment, des apports de nouvelles populations venues du nord de l'Afrique qui font que l'islam est peu à peu devenu la deuxième religion de ce pays. L'Europe se bâtit et passera bientôt à vingt-cinq membres, l'Amérique, de Wasp (2), est devenue métissée. En réalité, le monde entier est en perpétuel devenir. C'est en grande partie dû à l'abolition progressive des frontières qui perdent peu à peu de leur importance. Et l'ouverture des frontières amoindrit les divisions ethniques qui ont tendance à s'estomper. Aucun pays à travers la planète n'a d'avenir s'il n'accepte pas le droit à la dif­férence comme élément essentiel de sa raison d'être. La démocratie, ce n'est pas seulement le droit à être égal mais à être égal dans la différence.



1.École d'historiens, de sociologues et de politologues israéliens, dits « post sionistes », qui ont entrepris de reconsidérer l'histoire du sionisme. Le plus connu et le plus controversé est Ilan Pappe.



2.Sigle traduisant le caractère « blanc » de la population et composé des mots White (Blanc), anglo-saxon, protestant.



Photo : D.R.