Tribune
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Publié le 16 Juillet 2010

Un silence éloquent

La manifestation sous l’égide du CRIF du 22 juin 2010 sur la place du Trocadéro fut un succès par l’affluence du public, la qualité de l’organisation et des interventions des orateurs. Mais en termes de retentissement médiatique, ce fut un échec. A quelques exceptions près, les organes de diffusion nationaux n’en firent pas mention. Ce fut un choix délibéré. L’explication nous importe. Elle est fournie par le médiateur de TF1 qui écrit qu’une manifestation pour les quatre ans de captivité de Gilad Shalit n’était pas relatée, « pour la triste raison » qu’il n’y avait pas d’évolution. Mais que de plus, le lien établi entre cette captivité et le soutien à Israël témoignait chez les manifestants « d’une certaine confusion dans leur identité nationale » …Diable !




Ces commentaires inexcusables oblitèrent le lien entre Gilad Shalit et la politique israélienne à Gaza. L’affaire de la flottille lui a donné un relief particulier. Ce lien porte un nom : le Hamas. Le refus par le Hamas de donner à Gilad les droits d’un prisonnier (qui n’est pas, rappelons-le, un prisonnier de guerre, mais la victime d’un kidnapping sanglant effectué en territoire israélien) a motivé la fermeture par Israël de l’entrée maritime de Gaza. En outre, c’est le refus méprisant des responsables de la flottille de véhiculer au Hamas les demandes de respect des droits de l’homme élémentaires envers Gilad Shalit qui a montré que ces humanitaires-là étaient au mieux des humanitaires borgnes dont la compassion était unilatérale.



Quoi qu’on pense de la façon dont les israéliens ont mené leur opération sur le Mavi Marmara, qui peut nier qu’ils ont rencontré sur le pont supérieur de ce bateau, non pas des pacifistes désarmés, mais des fanatiques prêts à tuer et/ou à être tués dans l’esprit du djihad ? Ces informations étant devenues disponibles, elles auraient logiquement dû effacer la représentation des premières heures, celle d’un massacre de pacifistes par l’armée israélienne. Il n’en a rien été. Tout s’est passé comme si les premières perceptions s’étaient cristallisées, et que leur correction était venue trop tard. La première image se fige, aussi fausse qu’elle se révèle ultérieurement. On pense évidemment à l’affaire Al Dura.



On souhaiterait que la presse procède à une analyse différée de tels événements pour les apprécier dans leur vérité et non pas uniquement dans une immédiateté trompeuse. Pourquoi est-ce si difficile ?



Ce n’est pas de l’antisémitisme. C’est, facilité par la sidération de la raison, l’effet de la tyrannie de l’immédiat, qui imprègne l’esprit d’autant mieux que l’événement peut s’insérer dans une grille de lecture préétablie, qu’il vient conforter. Ces grilles sont volontiers binaires, disant le bien et le mal sous le mode « oppresseurs/opprimés ». Celles qui reflètent « l’air du temps » transfèrent sur Israël le poids de la culpabilisation de l’Occident pour son passé colonialiste et son présent consumériste. Elles proposent l’innocence et la simplicité au prix de la stigmatisation d’un seul pays, celui du peuple qui a communément joué le rôle du bouc émissaire dans l’histoire.



Cette grille interprétative s’étend dans la société, et risque de toucher des milieux exempts d’hostilité à l’égard des Juifs et se prétendant amis d’Israël. A nous tous d’expliquer, d’expliquer sans relâche, le véritable visage du Hamas, du Hezbollah, du régime iranien ou de l’islamisme radical. La véhémence et les invectives ne servent à rien. Il faut faire le choix du débat, le choix de la vérité et être convaincu que la défense d’Israël ne se sépare pas de la défense du monde où nous vivons et qui ne veut pas voir qu’il est lui-même en danger.



Richard Prasquier, président du CRIF (Actualité juive 14 juillet 2010)



Photo : D.R.