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À la fin de l’année 2012, la négociation semblait la voie choisie par les insurgés d’Ansar Dine au Nord Mali. Fin décembre, le groupe était parvenu à un accord avec le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) afin de cesser les hostilités envers les autorités maliennes, s’éloignant par la même occasion des factions les plus extrémistes dans la région: al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) et le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao).
Alors que les médiations algérienne et burkinabé paraissaient porter leurs fruits, Ansar Dine décide paradoxalement début janvier de dénoncer l’accord à peine accepté. Reprenant les armes, le groupe insurgé passe la frontière virtuelle séparant le nord du Mali, aux mains des djihadistes depuis près d’un an, de la région sud du pays. La prise de la ville de Konna entraîne dans la foulée le déclenchement d’une intervention militaire par la France, prenant les devants sur une force africaine tardant à se mettre en place.
En quelques jours, la France procède à un déploiement de forces armées dans la région. Alors que les forces d’intervention ont depuis repris Tombouctou, Gao et Kidal, Ansar Dine semble aujourd’hui perdre toute légitimité auprès de ses interlocuteurs internationaux, mais aussi aux yeux des populations locales.
La reprise des hostilités sonne bel et bien comme l’échec militaire et politique d’Ansar Dine. Pourquoi le groupe insurgé a-t-il repris les armes alors même que sa position à la table des négociations était favorable, voire dominante? Que cache cette erreur tactique? Décryptages…
Fédérer l’insurrection au Nord Mali
À première vue, l’offensive du mouvement Ansar Dine sur la ville de Konna peut apparaître comme une stratégie visant à fédérer sous son commandement l’ensemble des factions insurgées de la région.
Depuis plusieurs mois, les divisions ethniques et religieuses qui traversent les différents groupes insurgés n’ont fait qu’exacerber les scissions, les retournements d’alliances et autres changements à la tête des organisations combattantes au Sahel.
En consolidant ses places fortes dans le nord du Mali et en démontrant par la même occasion sa capacité à déclencher une offensive militaire de grande ampleur vers Bamako, Ansar Dine a pu dans un premier temps vouloir opérer une démonstration de force et envoyer un message fort à la fois à ses alliés/ennemis régionaux que sont le Mujao et Aqmi, mais également aux États régionaux (Algérie, Mauritanie), ainsi qu’aux puissances internationales ayant des intérêts dans la région (France, États-Unis). Gagner du terrain sur les autres groupes insurgés, intégrer leurs membres et négocier par la suite plus durement avec Bamako peut à première vue expliquer cet élan vers le sud du Mali.
Toutefois, le groupe depuis sa création a toujours agi de manière prudente en ménageant ses alliés et ennemis, oscillant entre ton belliciste et volonté de négocier. Malgré la lenteur du temps onusien et sans compter sur l’intervention militaire française, de pareilles attaques au sud ont démontré la confiance excessive du groupe en ses capacités d’action.
Une pareille prise de risque ne s’inscrit cependant pas en continuité avec les précédents actes beaucoup plus hésitants d’Ansar Dine. Ce positionnement constitue en définitive davantage la rupture d’un équilibre interne du groupe combattant qu’un véritable choix stratégique assumé.
L’ascendant pris par la frange radicale
Ansar Dine demeure un acteur difficile à cerner tant dans son discours que dans ses actions sur le terrain. S’inscrivant dans une histoire d’insurrections et de revendications des populations nord-maliennes, le groupe se présente également comme le défenseur d’un islam littéraliste et orthodoxe.
Sa proximité avec les groupes terroristes Aqmi et le Mujao est en partie due à des intérêts stratégiques convergents, mais aussi à une base idéologique partagée. Pour renforcer cette ambiguïté, le groupe s’est par ailleurs toujours montré ouvert à la négociation et dans le même temps incapable de se détacher totalement d’Aqmi et du Mujao, du moins jusqu’à l’accord avec le MNLA, en décembre dernier.
Certains éléments d’Ansar Dine ont probablement fait partie ou continuent à entretenir des relations avec les groupes les plus extrémistes. Une aile radicale existe donc vraisemblablement au sein du groupe et a probablement été renforcée par l’arrivée de combattants djihadistes étrangers, peuplant en grand nombre les rangs d’Aqmi. Beaucoup plus radicaux idéologiquement que les combattants locaux, ces combattants semblent avoir contribué à une radicalisation d’Ansar Dine. La récente formation de Mouvement islamique de l’Azawad (MIA), à la suite de la défection de plusieurs membres d’Ansar Dine manifestant leur désaccord face à la dérive radicale du groupe et souhaitant favoriser l’option de la négociation, témoigne très précisément de l’ascendance prise par la frange radicale à l’intérieur d’Ansar Dine.
Alors que le groupe avait semble-t-il décidé d’opter pour la voie de la négociation, que certaines figures, telle qu’Algabas Ag Intalla à présent secrétaire général du MIA, tentaient de rendre la solution politique prioritaire, les radicaux voyant le manque de concessions ou le peu de promesses obtenues par Bamako, ont sans doute fait pression pour reprendre les hostilités.
Est-ce alors une volonté de leur part de négocier plus âprement avec Bamako ou un élan s’inscrivant davantage sur le terrain idéologique? La réponse se trouve probablement entre les deux voies. Demeure toutefois une dernière zone d’ombre dans la figure d’Iyad Ag Ghaly, le chef d’Ansar Dine.
Iyad Ag Ghaly ou l’excès dans le pragmatisme
Iyad Ag Ghaly a-t-il perdu le contrôle d’Ansar Dine au profit d’éléments plus radicaux ou partage-t-il le même agenda que ces derniers? Malgré la tendance de certains médias à privilégier cette seconde hypothèse, Iyad Ag Ghaly a vraisemblablement essayé de se faire à chaque fois le représentant des tendances dominantes au sein d’Ansar Dine. Ce même positionnement semblait transparaître lors de l’insurrection de 2006.
La facilité d’Iyad Ag Ghaly à changer d’alliances et de camp peut être observée dès les années 1990. Ayant incarné un temps un «proxy» du gouvernement malien parmi les populations touarègues, puis devenant un acteur-clé dans les négociations menées par Alger, il s’est posé dans les années 2000 comme un précieux intermédiaire dans la libération d’otages occidentaux détenus par Aqmi.
L’intérêt premier d’Iyad Ag Ghaly a toujours été de se placer en acteur central dans le jeu politique nord-malien et c’est son pragmatisme, sans doute doublé d’une dose d’opportunisme, qui a conduit les membres du MNLA à lui refuser le poste de secrétaire général de leur groupe.
Bénéficiant de son aura de noble de la tribu des Ifoghas et des ressources d’Aqmi, Iyad Ag Ghaly a néanmoins pu former Ansar Dine pour conserver un rôle central dans le théâtre nord-malien. Aujourd’hui, Iyad Ag Ghaly semble cependant piégé par un excès de pragmatisme et une incapacité à maintenir à l’écart d’Ansar Dine les éléments les plus radicaux.
Son avenir politique semble désormais fortement compromis et sa disparition, au cœur de la crise traversée par Ansar Dine, ne fait que le confirmer. Cette réalité plurielle d’Ansar Dine ne fait que vérifier la fluidité des logiques insurrectionnelles au Nord Mali. Alors que nombre d’observateurs tendent à réifier les groupes insurgés autour de labels, les réalités du terrain produisent des reconfigurations très souvent incertaines entre acteurs.