Tribune
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Publié le 24 Janvier 2012

Comment Assad exploite-t-il la mort de Gilles Jacquier?

 

Par Dario S., de MediArabe.info

 

Tous les témoignages convergent pour accuser le régime syrien d’avoir tendu un piège aux journalistes européens et d’avoir assassiné délibérément Gilles Jacquier, reporter de France 2, pour terroriser la profession et la pousser à déserter le pays. Il venait d’agresser les observateurs arabes dans le même objectif. Damas entend ainsi réprimer à huis clos.

 

Le régime a atteint l’apogée de son cynisme légendaire, en annonçant, dimanche 22 janvier 2012, par la voix du ministre de l’Information, qu’il « autorise 147 médias étrangers à entrer en Syrie et à couvrir l’actualité, pendant dix jours renouvelables ». Officiellement, Damas veut que « les médias corrigent l’image erronée et la couverture biaisée assurée jusque-là par les opposants », relayés par les télévisions « Al Arabiya » et « Al Jazeera » dans le cadre d’un complot contre Assad.

 

La manœuvre syrienne n’est plus à démontrer : il adresse une « fausse invitation » aux journalistes étrangers après les avoir terrorisés à travers l’assassinat lâche de Gilles Jacquier. L’événement de Homs ayant marqué les autres journalistes de la délégation conduite par la religieuse Agnès-Mariam de la Croix, liée aux services syriens, est ainsi susceptible de neutraliser l’invitation du ministère de l’Information. Auparavant, les miliciens du régime avaient agressé les observateurs arabes à plusieurs endroits, gelant l’envoi d’autres observateurs par la Ligue arabe. Au final, l’échec de cette mission ne peut qu’arranger Assad. Il compte pousser tous les étrangers à déserter son pays lui permettant de réprimer à huis clos, et sans témoins.

 

D’ailleurs, les médias altermondialistes proches du régime mettent en ligne une vidéo, vraisemblablement tournée discrètement, montrant un partisan d’Assad engagé dans une conversation avec l’ambassadeur français à Damas Eric Chevallier, en visite à Homs après le meurtre de Gilles Jacquier. Le partisan d’Assad tente de faire attribuer, par l’ambassadeur, cet assassinat aux terroristes, et de lui faire condamner le soutien français à ces terroristes, qui ont déjà tué 5000 Syriens. Le cynisme n’a vraiment pas de limites.

 

La Syrie avait adopté la même stratégie au Liban, à partir de 1983, en commanditant les attentats contre les ambassades occidentales et arabes, et les prises d’otages, qui avaient permis à Hafez Al-Assad de disposer du Pays du Cèdre. La même tactique a été utilisée en Irak par son fils et successeur. Le premier attentat d’envergure en Irak, commis après son invasion par les Etats-Unis, a eu lieu le 19 août 2003 au siège de l’ONU à Bagdad. En tuant ainsi le représentant des Nations unies Sergio Vieira de Mello, Damas a cherché à menacer en Irak sans témoins étrangers, les ambassadeurs arabes ayant aussi fui Bagdad. S’en est suivi l’insurrection contre les Américains en Mésopotamie, menée par Al-Qaïda, introduite dans ce pays par et à travers la Syrie essentiellement.

 

Aujourd’hui, Assad récidive dans son propre pays pour agir sans témoins. Il vient d’amnistier tous les crimes commis depuis le 15 mars dernier et liés à la révolte, dans une opération d’enfumage, conscient de parvenir rapidement à éliminer les opposants, à huis clos, après les avoir libérés. Il a également libéré deux terroristes notoires liés à Al-Qaïda, arrêtés au Pakistan et remis par la CIA à la Syrie. Seuls les Libanais arrêtés arbitrairement par l’armée d’occupation au pays du Cèdre, entre 1976 et 2005, croupissent toujours dans les geôles de la dictature. Ni le général Michel Aoun qui a effectué plusieurs pèlerinages à Damas, ni le Patriarche maronite qui défend le régime, n’osent réclamer la vérité sur ces centaines de disparus, se rendant complices du drame interminable de leurs proches. Seuls le « Comité des familles de détenus libanais en Syrie » et Samir Geagea, chef du parti des Forces libanaises et principal pilier du camp souverainiste du 14 Mars, continuent de défendre ce dossier passé aux oubliettes par le Liban officiel, plus que jamais infiltré et contrôlé par la Syrie et ses alliés.

 

Le mouvement populaire syrien ne cesse de prendre de l’ampleur en réaction naturelle aux crimes d’Etat commis par Assad, comme le confirment les manifestations quotidiennes d’une opposition qui défie les balles réelles et les canons des chars. Les opposants promettent que leur mouvement est irréversible quel qu’en soit le prix. Le sort de Bachar Al-Assad semble scellé, et il a lui-même aggravé son cas à force de manipuler le terrorisme et les opinions publiques. Avec l’assassinat de Gilles Jacquier, Assad aura signé son propre arrêt de mort. Ce qui soulagera, sans aucun doute, les peuples syriens, mais aussi libanais, irakiens et palestiniens, à défaut de soulager les régimes de ces pays, qui se rendent, consciemment ou inconsciemment, complices d’Assad.