- English
- Français
La torture frappe tous les continents. La campagne qu’Amnesty International lance aujourd’hui le souligne en décidant de mener une action plus particulière à la fois au Maroc, au Mexique, au Nigeria, aux Philippines et en Ouzbékistan. Ce que nous savons peut-être moins, c’est qu’elle n’est pas l’apanage des régimes dictatoriaux. Les Etats démocratiques ne doivent pas s’abstenir d’une réflexion sur la torture, parce que c’est une tentation qui les guette.
Le fait d’être français n’est pas étranger à l’envie de rester sensible à ce combat. Je viens d’un pays où, il n’y a pas si longtemps, durant l’Occupation, des jeunes gens, dont on voulait étouffer le cri de liberté, étaient torturés. Je viens d’un pays, où, il y a encore moins longtemps, la torture était pratiquée en Algérie. Nous savons, nous, Français, d’une sorte de savoir historique, profond, que cette question ne nous est pas étrangère, qu’elle n’est jamais très loin et que nous devons la regarder droit dans les yeux. Amnesty International a ciblé certains pays pour que les choses changent, mais n’allons pas penser que la torture ne concerne que ces pays, ne se pratique que sous des latitudes tropicales, dans des geôles vétustes d’Afrique ou d’Amérique du Sud. N’éloignons pas le sujet. Il est tout près de nous.
Qui sait que depuis les années 70, des études ont été faites au Québec, pour établir de nouveaux protocoles de torture qui seraient efficaces tout en étant «acceptables», parce que plus scientifiques ? A l’université McGill de Montréal, les chercheurs ont travaillé sur la privation sensorielle. Ces travaux ont vite intéressé la CIA qui s’en est emparée au temps de la guerre froide. On lira avec stupeur le «manuel d’interrogatoire» Kubark de la CIA qui explique calmement, scientifiquement, les méthodes dites modernes de torture. Sous l’administration Bush, le manuel Kubark a été «mis à jour». La privation sensorielle, l’humiliation sexuelle ou religieuse, l’exposition à des séquences de bruit courtes et répétées, le waterboarding, toutes ces techniques sont réhabilitées au nom d’une sorte de «torture propre». Il y a là l’idée que cette torture, parce que moins sanguinolente, plus dosée, serait, au final, plus humaine. La démocratie a-t-elle trouvé sa torture, une torture soi-disant acceptable ? C’est à craindre… Lire la suite.