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« Aux Etats-Unis, “Roman juif américain” est une appellation qui ne pose pas de problème, car le communautarisme se traduit par une visibilité d’appartenance », fait remarquer Olivier Rubinstein, directeur de l’Institut français de Tel-Aviv. « D’ailleurs autrefois, les écrivains français, comme Proust par exemple, ne se revendiquaient pas comme “auteurs juifs”, même si leurs œuvres étaient traversées par les valeurs juives », rappelle-t-il.
Alors pourquoi donc la question de l’identité se réveille-t-elle aujourd’hui ? Cette rencontre au Campus francophone du Collège académique de Netanya, en partenariat avec l’Institut européen Emmanuel Lévinas et les services culturels de l’ambassade de France, voulait témoigner de la difficulté qu’il y a aujourd’hui d’échapper à son identité juive. Organisé à l’initiative de Claude Grundman Brightman, Présidente du Campus francophone, et de Gérard Rabnovitch, directeur de l’Institut européen Emmanuel Lévinas, autour d’auteurs rappelés à la mémoire sans désir d’inventaire ni d’exhaustivité, le colloque a réuni le 20 mars dernier des intervenants brillants ; Philippe Zard pour Albert Cohen, Anny Dayan Rosenman pour Romain Gary, Delphine Auffret pour Elie Wiesel, Maxime Decurt pour Gearges Perec, Richard Darmon pour Claude Vigée et Francine Kaufmann pour André Schwartz-Bart.
Cohen, Gary, Perec…
L’œuvre d’Albert Cohen est une parabole du rapport juif à la mémoire. L’auteur a précocement affirmé être un auteur porteur d’un projet juif. Son imaginaire diasporique – le juif vagabond dépenaillé, le paria, le juif observant, mais aussi prophète à sa manière – s’incarne dans son personnage récurrent de Jérémie. Solal lui, serait l’avatar de Joseph en Egypte, David et Esther, le juif assimilé, le marrane. Le personnage d’Ariane serait l’Aryenne, ou le christianisme, d’où les noces impossibles entre le Juif et l’Occident sous la houlette de la SDN (Société des Nations), la tour de Babel. Alors que serait cette judéité qu’il s’agirait d’exprimer : un ancrage familial, identitaire et intuitif, une élaboration intellectuelle qui s’incarnerait dans l’esprit des nations et le génie des peuples, la vision d’un peuple animé par un projet biblique et messianique incarné dans l’humanisme hyperbolique qui déclare la guerre à sa bestialité. Si Albert Cohen récuse la notion d’esprit juif, c’est pour mieux revendiquer celle d’esprits juifs ; l’esprit des hommes du désert, où prévaut la volonté, l’esprit prophétique qui repose sur la prévalence de l’esprit sur la force, une strate historique liée à l’esprit de l’exil et enfin l’esprit critique. L’écrivain juif devrait pouvoir rendre compte de cette pluralité interne et « donner le dernier mot à la vie avec humour, le cœur plein d’amour et l’œil méchant ».
La question de l’origine et de la transmission traverse également l’œuvre de Romain Gary, puisant aux mêmes sources pour incarner la valeur juive de la survie. Le thème récurrent de la cachette traverse l’œuvre, inséparable de la question de l’identité. Le rapport complexe aux noms (il avait 5 pseudonymes) témoigne de son trouble de l’identité et celui de ses personnages. Le juif est son autre avec lequel il entretient un rapport en miroir exprimé dans une sorte de messianisme de l’écriture.
Avec Elie Wiesel, on ne peut cacher que l’on est juif, on est un survivant voyant dans la nuit, où résonnent la fatigue du témoignage et son échec. L’obsession de l’absence douloureuse traverse le midrash wieselien dans lequel le messie lui-même bascule dans la fosse. Tout est source de remords. « Je n’ai pas pu dire le kaddish » est le leitmotiv récurrent de la culpabilité du fils survivant à son père et qui n’a pas su lui répondre à temps… Lire la suite.