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Ces dernières semaines, il vient de prendre quelques initiatives justifiant largement que nos vaillants éditorialistes lui rentrent dans le lard sans états d’âme. Ainsi, au lieu d’encaisser sans broncher le vote de l’Assemblée Générale de l’ONU élevant l’Autorité palestinienne au statut d’Etat non membre des Nations Unies, il réplique par l’annonce de la construction de 3500 logements à Jérusalem est et, comble d’horreur, la planification d’une éventuelle urbanisation de la zone dite E1, un morceau de désert de 12km2 reliant Jérusalem à l’implantation de Maale Adoumim.
Il s’est également rendu coupable de faire couche commune avec le diable en fusionnant les listes de son parti, le Likoud avec celle d’Israël Beitenou, la formation dirigée par le ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman. L’affaire nous est présentée comme une version israélienne d’une alliance qui unirait, en France, l’UMP et le Front National.
Enfin, si les mêmes analystes futés et pertinents n’ont pas osé trop cogner sur l’opération « Pilier de défense » qui a mis un terme (provisoire ?) au tir de roquettes et fusées sur Israël à partir de Gaza, on ne manque pas de souligner que le Hamas est sorti renforcé de cette affaire. Et on dénonce, dans la foulée, le calcul machiavélique de la doublette Netanyahou-Lieberman, consistant à favoriser le Hamas au détriment de Mahmoud Abbas. Ce dernier, en revanche, est constamment présenté avec un rameau d’olivier à la main, essuyant rebuffade sur rebuffade de la part des Israéliens.
Les plus indulgents à l’égard d’Israël, comme l’éditorialiste du Monde Alain Frachon, en concluent (comme Elie Barnavi, historien et ancien ambassadeur d’Israël à Paris) que le face à face israélo-palestinien ne mènera nulle part, et que l’on ne sortira de cette impasse que par une solution imposée aux deux protagonistes par la seule puissance qui en est capable, les Etats-Unis.
À l’appui de cette prise de position, Frachon et Barnavi affirment que tous les éléments d’une solution de compromis, aboutissant à la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza sont déjà sur la table (« paramètres Clinton » de Camp David, « initiative arabe » de 2002, « Feuille de route » du quartet de 2003 etc.). Il suffirait donc que Barack Obama, qui n’a plus à craindre pour sa réélection, dessine une carte avec des frontières, élabore des propositions à prendre ou à laisser concernant les questions litigieuses : Jérusalem, réfugiés palestiniens, garanties de sécurité pour Israël, et on verrait la fin d’un conflit qui empoisonne la vie internationale depuis ??? Même sur cette date la réponse n’est pas neutre car les plus radicaux des Israéliens se réfèrent au refus arabe de la déclaration Balfour de 1917 comme origine du conflit actuel, alors que les Palestiniens ramènent tout à « l’occupation » des Territoires après juin 1967.
Il ne tiendrait donc qu’à nous, Occidentaux, de montrer un minimum de fermeté, principalement envers le plus fort, Israël, pour que la Terre Sainte retrouve la paix et la sérénité. Au passage, on se lamentera sur le fait que l’Europe ne soit pas capable, en raison de ses divisions, d’exercer une influence à la mesure de son investissement financier en faveur des Palestiniens.
Tout cela ne manque pas de bon sens, et Netanyahou, au lieu de se bunkeriser comme un vulgaire Jean-François Copé, ferait donc bien d’écouter les conseilleurs qui phosphorent à Paris ou Bruxelles, sinon il conduira son pays vers l’abîme.
Toutes ces paroles, apparemment sensées, ne tiennent pas compte d’une loi historique implacable : tous les plans, si ingénieux soient-ils, ont une date de péremption. Quelques semaines avant la chute du mur de Berlin, Mikhaïl Gorbatchev avait lancé à son « camarade » est- Allemand Erich Honecker, rétif à la perestroïka « Ceux qui sont en retard sur l’Histoire seront punis par elle ! ». Ce qui s’est révélé parfaitement exact, pour Honecker d’abord, pour Gorbatchev ensuite. Le processus dit d’Oslo s’est fracassé ne n’avoir pas été mené tambour battant, et peut importe aujourd’hui d’en faire porter la responsabilité à l’une ou l’autre partie. Il se fondait sur le postulat que les Israéliens comme les Palestiniens finiraient chacun par trouver leur intérêt dans une solution de compromis. L’accord israélo-palestinien se serait alors inscrit dans la lignée de ceux qui avaient mis un terme aux hostilités armées entre Israël et l’Egypte en 1978 et la Jordanie en 1994. Cela ne s’est pas produit et entre temps l’Histoire s’est rappelée à notre bon souvenir : entre 1994 et 2012, Israël est devenu plus riche, plus fort et sans doute plus uni qu’il ne l’a jamais été. La mondialisation l’a délivré de l’absolue nécessité d’un ancrage régional. En face, le monde arabo-musulman est entré dans une période de chaos politique se traduisant par une montée en puissance de l’islamisme radical et de l’affrontement entre les Sunnites conduits par l’Egypte et les monarchies pétrolières d’un côté, et les Chiites dans l’orbite de Téhéran de l’autre. Ce qui est en question aujourd’hui, ce n’est pas l’avancée du processus de paix, mais l’avenir incertain des traités antérieurs, sous la pression des opinions publiques arabes chauffées à blanc sur cette question et ayant désormais voix au chapitre.
C’est ce qui fait tout le tragique, aujourd’hui, du face à face Benjamin Netanyahou-Mahmoud Abbas. Ce dernier ne doit son maintien au pouvoir qu’à la présence, en Cisjordanie, de forces armées israéliennes qui empêchent le Hamas de le renverser. Il sait bien que le succès de son entreprise proclamée, la création d’un Etat palestinien de plein droit et le retrait de Tsahal entraînerait sa chute. Khaled Mechaal, le chef du Hamas en résidence au Qatar, étiqueté comme « modéré » par un grand quotidien du soir a fait un triomphe à Gaza en appelant à l’expulsion des « sionistes » de la méditerranée au Jourdain et de la frontière libanaise jusqu’à la mer Rouge. Il n’est pas certain, dans ces conditions, que ni Netanyahou ni Abbas n’aient vraiment envie de sortir d’une impasse pour s’aventurer sur un boulevard où l’on risque de se faire égorger à chaque coin de rue. Alors on y reste, et on amuse la galerie avec des moulinets pour se donner une contenance.