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Certes, c'est bien un journal qu'il créa à Alger sous le nom d'«Information juive» et préserva ensuite à Paris contre vents et marées. Mais un journal n'est guère que des mots et du papier, s'il n'est porté par une âme. Jacques Lazarus fut cette âme-là.
Lecteur régulier du journal de Jacques Lazarus, j'y ai très peu écrit – quelques textes, nés de l'amicale pression de mon grand aîné. Comment cela a commencé, je le raconterai en un autre temps. Il me suffira de dire que son exemple m'inspira, car il attendait autant de ses collaborateurs que de ses lecteurs.
Publier un journal juif français, en effet, est tout autre chose que de publier en langue française des articles comportant le mot «juif». C'est explorer sans cesse l'équilibre délicat entre deux univers, et ne jamais renoncer à l'une ou l'autre de ces appartenances. C'est assumer une présence juive dans la citoyenneté française, sans ostentation ni reniement. Lazarus savait dire cela en tant qu'éditeur, parce qu'il savait vivre cela en tant qu'être humain.
Pour illustrer ce point, une anecdote suffira. Elle date de l'époque où «Information juive» était imprimé en grand format et expédié à la manière de la presse quotidienne, sous une bande de papier portant l'adresse du destinataire. Le nom du journal était lisible à cent lieues. Un lecteur écrivit à la rédaction pour demander que ce nom fût mis à l'abri des regards du postier, de la concierge et des voisins. Jacques Lazarus publia la lettre, et la fit suivre d'un commentaire portant sa signature. Quand on lit «Information juive», répondait-il en substance, on ne doit pas craindre d'être reconnu pour juif; et si l'on n'y est pas prêt, mieux vaut se désabonner.
Tout l'homme tenait en ces quelques mots: une conception intransigeante de la présence juive au sein de la société française, l'honneur d'être juif ne le cédant pas devant l'honneur d'être français. Jacques Lazarus, dans les diverses formes de son activité – résistant de l'Organisation juive de combat, organisateur du judaïsme algérien, directeur de journal à Paris –, resta fidèle à ces principes. Puisque l'homme n'est plus parmi nous, son souvenir doit nous guider. On l'aura compris: il n'y va pas seulement de la presse juive.