Tribune
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Publié le 23 Janvier 2013

L'école, l'autre arme contre le terrorisme

 

Par Emmanuel Davidenkoff, directeur de la rédaction de l'Étudiant et chroniqueur sur France Info.

 

Le Mali, nous expliquent quasi unanimement gouvernement et experts pour justifier l'intervention militaire française, était sur le point de se transformer en camp d'entraînement terroriste. Soit. Mais qu'a-t-on fait avant ? Non seulement avant l'avancée des troupes djihadistes, avant les destructions de sanctuaires à Tombouctou, mais encore avant. Lorsque les experts du terrorisme creusent cette question de "l'avant", ils quittent invariablement les terrains militaire, politique ou religieux pour parler d'éducation. C'est le cas aussi bien du roboratif rapport d'enquête sur les attentats du 11 septembre (1) que du passionnant ouvrage d'Alain Chouet, ancien patron des services spéciaux, sur le terrorisme islamiste (2). Vous les ouvrez en croyant découvrir les secrets des James Bond de la vie réelle, vous les refermez sur d'implacables plaidoyers en faveur du développement de l'école - aussi bien l'éducation de base, celle qui apprend à lire, écrire et compter, que l'enseignement supérieur, celui qui aide au développement scientifique et accroît à terme la richesse nationale.

 

Nul idéalisme dans le propos. Même si tout système éducatif porte des valeurs, plus ou moins explicitement, l'école est avant tout vue, ici, comme promesse d'une possible vie meilleure dans ce monde plutôt qu'au "paradis" des martyrs de quelque cause. Banquiers et idéologues du Djihad l'ont bien compris, qui financent dans le monde entier associations culturelles et madrasas - les écoles coraniques. Autant que les ruses et la cruauté des terroristes, c'est bien cela qui inquiète les professionnels du renseignement : l'incapacité des États non seulement à vaincre la barbarie, mais à éviter qu'elle émerge sur le terreau de la misère et de l'ignorance.

 

Il faut malheureusement attendre les drames pour que soit évoqué ce qui apparaît comme une évidence à ceux qui sont en première ligne de la lutte contre le terrorisme : la nécessité d'une aide stable et résolue au développement des systèmes éducatifs dans les pays qui ne peuvent porter seuls cet investissement. Il va de soi qu'une telle aide produit également ses effets sur l'économie, comme la Banque Mondiale et le Fonds monétaire international ont fini par le comprendre il y a une dizaine d'années, après avoir imposé aux pays qu'ils "aidaient" des politiques qui leur interdisaient de construire des écoles et rémunérer dignement les enseignants.

 

L'émotion suscitée par la guerre au Mali et l'issue tragique de la prise d'otage en Algérie offrent une rare opportunité de prise de conscience collective. L'opinion comme la classe politique, jusque-là, soutiennent largement les fondements de l'intervention française. La même union sacrée ne pourrait-elle être mobilisée pour que l'on parle enfin d'aide à l'éducation ? Car tant que cette bataille éducative n'aura pas été menée - on n'ose écrire "gagnée", tant la chose demeure fragile, y compris dans les pays développés (les attentats de Londres ont été menés par des jeunes gens issus de la classe moyenne et, en apparence au moins, parfaitement acculturés à la vie et aux valeurs occidentales) -, on continuera longtemps à se déchausser aux contrôles de sécurité des aéroports, sans que le terrorisme recule d'un pouce.

 

(1) 11 septembre. Rapport de la commission d'enquête. Préface de Francois Heisbourg. Éditions des Équateurs. (2) Au coeur des services spéciaux. La menace islamiste : fausses pistes et vrais dangers. Par Alain Chouet, avec Jean Guisnel. Éditions La Découverte.