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Rama Yade: Mon grand étonnement est que la laïcité est brandie par Marine le Pen. Comme si elle apparaissait comme la grande défenseure de la laïcité. Et je me dis sans doute que c'est un échec pour nous les républicains. C'est la question que je me pose: qu'est-ce qui s'est passé pour qu'on en arrive là et comment peut-on opérer la reconquête? C'est l'idée que j'aimerais porter: la reconquête de nos valeurs. Les républicains et surtout les radicaux étaient tout de même à l'origine de ce combat. La laïcité est profondément d'actualité et offre une clé pour résoudre les problèmes de la société.
JMQ: Effectivement c'est un échec pour tous les républicains et tous les laïcs. C'est extrêmement gênant vu que beaucoup de médias lui donnent la parole sur ces sujets et beaucoup d'électeurs non-Front national se reconnaissant dans la laïcité votent aussi pour elle parce qu'elle développe ce discours républicain, républicaniste et laïc. Mais ce qu'il faut bien opposer au Front national c'est que c'est une fausse laïcité: Marine le Pen ne devient laïque que quand elle rencontre un musulman et elle se sert de la laïcité pour lutter contre "l'arabisation de la France", la défense de la civilisation française et aussi à partir de là pour chasser les immigrés. C'est un intégrisme chrétien, vu que lorsqu'il y a atteinte à la laïcité, par les cultes catholiques, Madame le Pen ne bouge pas. Il faut que nous les républicains reprenions la bonne définition de la laïcité. La laïcité n'est pas contre l'Islam, contre la religion. La laïcité essaie justement de faire vivre le peuple ensemble dans sa diversité et dans ses différences, sans qu'on ne les oppose les unes aux autres.
Rama Yade: Le discours antireligieux porte. À l'époque c'était contre le catholicisme, aujourd'hui c'est contre l'islam: sur le plan des cantines scolaires, les femmes qui refusent d'ôter le voile, les femmes qui refusent de serrer la main du médecin, enfin les prières de rue. De tous ces sujets, nous aurions du nous saisir en tant que laïcs sans être soupçonnés de xénophobie pour répondre au retour de la question religieuse dans la société française. Il s'avère que cela tombe sur l'Islam, car un certain nombre des derniers immigrés sont aussi musulmans et la question que je me pose est pourquoi la main des républicains a tremblé dans les années 1980 lorsqu'il a fallu poser les limites de la laïcité face à cette résurgence et pourquoi n'avons-nous pas démontré une des nombreuses forces de la laïcité: un outil de l'émancipation des femmes ?
JMQ: Sur le retour du religieux, il est incontestable aussi qu'il y a trente ans les jeunes immigrés musulmans avaient une pratique de l'Islam tout à fait modérée: on ne revendiquait pas le voile, les cantines scolaires. C'est vrai qu'il y a eu une évolution extrêmement rapide due aux conditions économiques et sociales. L'ascenseur social n'a pas fonctionné. À l'origine de cet islam un peu affirmé, sans être intégriste et trop affirmé dans l'espace public il y a une revendication sociale qui est devenue une revendication identitaire de gens qui ne se reconnaissent plus dans la République.
Rama Yade: Les républicains étaient peut-être trop faibles aussi.
JMQ: Sur cet aspect, il y a à mon avis deux courants politiques qui traversent la vie française et de manière transversale. Il y a un courant républicaniste, laïc très fort, très ferme et il y a un courant pour une laïcité plus ouverte, plus plurielle qui a peur de stigmatiser. Si on prend comme exemple l'affaire du voile à Creil, Lionel Jospin qui demande un avis au Conseil d'État qui à son tour donne un avis de "gérons ça au cas par cas". Le seul, et il va bien falloir le reconnaitre plus tard, à régler la question c'est Chirac en disant qu'il fallait une loi. Seule une loi républicaine, ferme et définitive a fonctionné.
Rama Yade: Quelques années plus tard, c'est le niqab qui revient comme si le mouvement au lieu de se tarir s'était renforcé. Au fond ce qui me frappe, c'est qu'il ait eu recours à une loi. Pourquoi ne nous sommes-nous pas simplement contentés d'un règlement intérieur inspiré de la circulaire Jean Zay [du 31 décembre 1936 et du 15 mai 1937- FS]. On s'en lave les mains en disant qu'au final c'était aux juges de décider et donc on juridicisait tout.
JMQ: À l'époque c'était effectivement la position de Jospin et une partie de la gauche, mais certains ont dit aussi que les circulaires, le Conseil d'État, le règlement intérieur ça ne suffisait pas, il faut effectivement qu'il y ait la force symbolique de la loi. Ceux qui ont demandé cette loi sont justement dans cette pratique républicaine. Lionel Jospin était partisan d'une laïcité au coup par coup et les chefs d'établissement ont dit non. On a fait la commission Stasi et elle a proposé la loi qui a été votée. Et cette loi ne doit pas être mise en cause comme ça a été le cas dans le rapport sur l'intégration remis à Jean-Marc Ayrault. Il faut être très vigilant là-dessus. Donc la force symbolique de la loi.
Rama Yade: Je pense qu'il y a une idée de générosité derrière. Du coup, ils affaiblissent la République avec l'idée que ces populations sont tellement victimes, persécutées qui plus est dans un monde mondialisé, qu'il faut les laisser affirmer leur identité comme signe de respect. Il y a un autre élément, je pense, c'est le 11 septembre 2001. Les musulmans sont accusés par le monde entier alors que la quasi-totalité n'avait rien à voir avec Al-Qaïda. Le fait qu'ils étaient pointés du doigt a pu provoquer un repli sur soi et donc une affirmation identitaire. Vous avez ce repli-là qui s'ajoute à l'humiliation due à l'échec du modèle républicain. Les identités humiliées se renforcent toujours… Lire la suite.