Tribune
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Publié le 7 Novembre 2013

La radicalisation du discours politique légitime le racisme

Par Shahzad Abdul et Jean-Baptiste de Montvalon

 

Des paroles racistes, puis un silence pesant : la Ministre de la justice Christiane Taubira, comparée à un singe par une candidate FN exclue depuis, traitée de « guenon » par des enfants lors d'une manifestation anti-mariage gay, aura subi les unes puis éprouvé l'autre. Cible principale de la droite et de l'extrême droite depuis sa nomination à la chancellerie, l'ancienne députée de Guyane a dû elle-même rappeler la nature et la portée des récentes attaques dont elle a été l'objet pour obtenir un soutien clair du chef de l'État. Notant que les « attaques racistes » dont elle a été l'objet « sont une attaque au coeur de la République », Mme Taubira estime qu'elles résultent d'« inhibitions qui disparaissent, de digues qui tombent » dans la parole publique.

 

Ni le soutien que lui avaient manifesté le Premier ministre et les Députés de gauche, le 30 octobre, ni les mots très tardifs de François Hollande, qui a appelé « à la plus grande fermeté et à la plus grande vigilance » contre le racisme lors du conseil des Ministres, mercredi 6 novembre 2013, n'ont invalidé ce diagnostic. Loin s'en faut. « C'est absolument incroyable, inimaginable, qu'il n'y ait pas eu de soutien officiel. Je ne comprends pas qu'on laisse passer des faits aussi graves ! », déplore Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH).

 

Cinq fois plus d'actes racistes en vingt ans

 

La France est-elle plus raciste qu'hier ? Difficile de l'évaluer. Selon les derniers chiffres de la CNCDH, les seuls disponibles sur la question, les actes racistes ont augmenté de 23 % en 2012. Soit 1 530 actes. Un chiffre multiplié par cinq en vingt ans. Son rapport avait souligné la montée d'un « climat anti-musulman », les actes visant la communauté musulmane étant les seuls à progresser constamment depuis trois ans (+30 % en 2012).

 

Compte tenu de l'écart entre les actes et les plaintes déposées, « on ne connaît que l'écume du phénomène », note toutefois Mme Lazerges, qui préfère insister sur les effets de la « libération de la parole publique », et sur la responsabilité des politiques en la matière. Nombreux sont les sociologues qui abondent en ce sens.

 

« Aujourd'hui, des politiques tiennent des discours qui étaient autrefois confinés en des endroits obscurs. Ils ont légitimé la parole raciste. Du coup, les gens s'y sentent aussi autorisés », relève Éric Fassin, professeur à l'université Paris-VIII. « Les hommes politiques sont responsables. Certains ont soufflé sur les braises », renchérit Arnaud Mercier, professeur de communication politique à l'université de Lorraine... Lire la suite.