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Au cœur d'un Moyen-Orient déjà passablement bouleversé, existe à présent de facto une nouvelle entité à laquelle personne n'avait vraiment cru, mais avec laquelle tout le monde va devoir compter. C'est aussi le rêve de Ben Laden qui vient de se réaliser. Treize ans après les attentats du 11 septembre 2001, l'onde de choc a fini par atteindre son but.
Les héritiers du Saoudien viennent de donner une réalité à ce qui n'était pendant longtemps qu'un projet un peu fou des islamistes radicaux: le rétablissement de ce régime hérité du temps du prophète Mahomet, seul mode de gouvernement acceptable aux yeux des fondamentalistes musulmans. Profitant de circonstances inespérées, en particulier la décomposition simultanée des deux États syrien et irakien, les djihadistes viennent de prendre une nouvelle fois de court tout le monde, et de donner une réalité à ce qui n'était pendant longtemps qu'une formule rhétorique.
Les combattants qui ont culbuté en quelques jours l'armée irakienne, et qui se sont portés aux marches de Bagdad, n'ont encore qu'un contrôle limité sur l'est de la Syrie et le nord-ouest de l'Irak. Mais pour les fondamentalistes du monde entier, cette offensive rappelle les chevauchées des premiers temps de l'islam. En proclamant leur chef comme un nouveau calife, les djihadistes rétablissent ainsi un lien avec l'âge glorieux qu'ils veulent voir renaître.
Car plutôt que de rétablir le règne des califes jouisseurs et amoureux du luxe, avec leurs eunuques et leurs harems, leurs architectes, leurs poètes et leurs mathématiciens, les salafistes entendent surtout revenir aux temps héroïques des premiers califes, les quatre «bien inspirés»: Abou Bakr, Omar, Othman et Ali. Même si leurs règnes furent passablement contestés, puisque trois d'entre eux furent assassinés, ces califes restent la référence des fondamentalistes. Ensuite, tout se complique très vite, dans un monde musulman divisé où le centre de gravité oscille déjà entre Damas, Bagdad et Le Caire. Au temps des conquêtes éclatantes succède celui de dynasties de plus en plus affaiblies, qui se déchirent dans des rivalités plus politiques que religieuses. Détruit par les Mongols à Bagdad au XIVe siècle, récupéré par les Égyptiens, le califat finit par tomber entre les mains du puissant sultan ottoman, qui le conserva jusqu'à son abolition en 1924. Ironiquement, le nouveau califat version 2014 est entouré par des voisins hostiles qui ont tous, d'une façon ou d'une autre, tenté de revendiquer pour eux cet héritage… Lire la suite.