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Combats. Jeudi matin, à l’aube, un kamikaze a fait exploser son véhicule à l’intérieur même du site où le groupe français exploite de l’uranium depuis plus de quarante ans. L’attentat, dans lequel ont péri deux terroristes, a fait un mort et 13 blessés parmi les employés, tous nigériens. La trentaine d’expatriés travaillant actuellement dans le nord du Niger n’ont pas été touchés. L’attentat commis à Arlit avait été précédé d’une attaque autrement plus sanglante contre une base militaire de l’armée nigérienne à Agadez, la «capitale» du Nord.
Dans cette ville garnison, près d’une vingtaine de personnes, pour l’essentiel des soldats, ont été tués, ainsi que quatre terroristes, dans un attentat-suicide et les combats qui ont suivi. Hier soir, un des assaillants était toujours retranché à l’intérieur du camp militaire, retenant en otages plusieurs élèves sous-officiers. La France, qui dispose de forces spéciales au Niger, mais aussi au Burkina Faso voisin, a proposé son aide aux autorités locales.
Redoutée depuis des semaines par les services de sécurité occidentaux, cette double attaque a été revendiquée par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), un groupe islamiste actif au Mali durement frappé par les forces françaises lors de l’opération Serval. Mais pour certains experts, elle porterait plutôt la signature du chef jihadiste Mokhtar Belmokhtar, responsable de la prise d’otages sanglante dans le complexe gazier d’In Aménas, dans le sud de l’Algérie, en janvier. Sa mort, annoncée depuis par le Tchad, n’a jamais été confirmée par Paris.
L’attentat-suicide d’Arlit a provoqué des dommages non négligeables sur les installations de l’usine d’Areva, où l’on transforme le minerai en «yellow cake» (une pâte orange) avant de l’exporter, notamment vers la France, à des fins d’enrichissement. La production risque d’être affectée.
Le site revêt un intérêt stratégique majeur pour Paris : un tiers de l’uranium utilisé dans les centrales nucléaires civiles d’EDF provient du Niger. Areva en revend aussi une partie à ses clients étrangers. À 80 km d’Arlit, à Imouraren, le groupe français travaille aussi à l’ouverture d’une mine géante à ciel ouvert qui, à terme, pourrait produire 5 000 tonnes d’uranium par an.
Cette attaque est un «véritable défi» lancé à la France, estime une source proche du dossier. Le choix de cette cible ravive en effet un souvenir douloureux : en septembre 2010, un commando dirigé par le chef jihadiste Abou Zeïd (tué depuis au Mali) s’était introduit nuitamment dans la cité minière pour enlever sept employés d’Areva et de Vinci. Trois d’entre eux, dont Françoise Larribe, ont été libérés quelques mois plus tard. Mais quatre autres restent introuvables.
Depuis, la sécurité a été sensiblement renforcée dans le nord du pays. «Elle est avant tout du ressort des militaires nigériens», souligne-t-on au siège d’Areva. Celle-ci est néanmoins assurée en coordination étroite avec les forces françaises. Le groupe est aussi censé avoir musclé son dispositif de sécurité, confié à une société privée, Epée, laquelle est dirigée par d’anciens légionnaires. Et ce n’est pas tout : au lendemain de l’attaque d’In Aménas, Paris a aussi obtenu des autorités de Niamey l’autorisation de déployer des soldats des forces spéciales dans la zone pour sécuriser les activités d’Areva.
Depuis l’été dernier, des experts de l’Union européenne sont également à pied d’œuvre dans le pays dans le cadre d’un programme d’assistance pour renforcer la lutte antiterroriste, baptisé Eucap Niger. Considéré comme un allié primordial dans la zone, le président nigérien, Mahamadou Issoufou, est très soutenu par Paris. Jusqu’ici, il a réussi à préserver les équilibres fragiles au sein de son pays, où réside une importante communauté touareg. Le Premier ministre actuel, Rafini Brigi, est d’ailleurs issu de cette minorité, dont certains éléments ont pris les armes par le passé. Quelque 650 soldats nigériens sont par ailleurs déployés au Mali.
Sanctuaire. «L’attaque d’hier atteste de l’existence de complicités locales, indispensables pour pouvoir s’infiltrer à l’intérieur des deux sites, à Agadez comme à Arlit», relève une source proche du dossier. Bien qu’affaiblis par l’opération Serval au Mali, les jihadistes sont loin d’être vaincus. Selon des témoignages concordants, des groupes seraient parvenus à s’enfuir en direction des pays voisins - Niger, Algérie et Burkina Faso. D’autres auraient trouvé asile dans le sud de la Libye, devenu un nouveau sanctuaire terroriste. Certains auraient même été repérés au Soudan.
Paris vient d’annoncer le renforcement de la sécurité de ses ambassades dans les zones à risques après l’attentat qui a ciblé son antenne diplomatique à Tripoli. «Que chacun comprenne bien que nous ne laisserons rien passer», a déclaré hier François Hollande. La traque des jihadistes n’est pas prête de se terminer au Sahel.