Tribune
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Publié le 20 Avril 2012

Lettre ouverte à Charles Enderlin

Par Pierre Rehov

 

Préface du président du CRIF, Richard Prasquier :

 

Nos lecteurs savent que nous ne pensons pas que l’ « affaire Al Dura » soit à remiser au rayon des vieilleries. Nous considérons au contraire qu’elle a eu, qu’elle continue d’avoir, des conséquences dramatiques et qu’il est absolument nécessaire d’établir la vérité, pour des raisons de morale et de politique argumentaire. Il est faux d’écrire que le gouvernement israélien ne le souhaite pas. Il a effectivement longtemps considéré le développement de cette affaire avec un fatalisme passif, mais il s’est récemment clairement exprimé à ce sujet.

 

Nous pensons que cette vérité est accessible, bien que les lieux aient été détruits, par une analyse des documents établie par des professionnels, détachés de toute polémique partisane. Nous plaidons en ce sens, et nous n’en faisons pas une croisade pour ou contre qui que ce soit.

 

Ce n’est pas le même type d’enquête, apparemment, que demande Charles Enderlin, qui déclarait dans un blog récent qu’il faudrait faire une recherche pour savoir lequel des soldats du poste de l’armée israélienne était l’auteur des tirs… Alors qu’une analyse balistique élémentaire, plusieurs fois répétée, indique que les tirs ne pouvaient pas provenir de la position israélienne…

 

Errare humanum est, perseverare diabolicum….

 

C’est pourquoi il nous a paru utile de publier le beau texte de Pierre Rehov qui nous plonge dans les premiers temps de l’« affaire Al Dura » et dans les premières difficultés de son élucidation…

La lettre ouverte de Pierre Rehov:

 

Charles,

 

Dans nos échanges nous avions pris l’habitude de nous tutoyer, je ne vais donc pas prendre de ton pseudo-officiel pour m’adresser à toi publiquement.

 

La lettre ouverte que tu as toi-même publiée contre Philippe Karsenty m’a mis dans une telle rage qu’après des années de silence sur cette affaire, je me dois d’intervenir ou, pour parler de façon populaire, d’ajouter «  mon grain de sel ».

 

Les raisons de cette colère ? La mauvaise foi sous-jacente dans chacune de tes phrases qui me conduit à éprouver de la honte pour le grand reporter que je respectais... fut un temps.

 

Tu le sais sans doute déjà, j’ai été le tout premier, avec l’appui du Bn’ai Brith, à me révolter contre le faux reportage meurtrier que ta chaine et toi-même avez diffusé en septembre 2000. Mon incrédulité face à de telles images, la certitude qu’il y a avait trucage, manipulation ou, au mieux, mauvaise interprétation des faits, m’ont conduit à l’époque à m’impliquer corps et âme dans le conflit et, sans toi, et les images bidonnées de ton cameraman militant, je n’aurais sans doute pas entrepris cette carrière de réalisateur de documentaires indépendant, qui m’a lancé sur ta voie. Mais évidemment, pas sur tes traces.

 

Entre septembre 2000 et janvier 2001, je me suis rendu 4 fois en Israël et une fois à Gaza, pour y rencontrer la plupart des intervenants, certains hommes politiques, et les soldats Druzes de Magen Shaloch accusés du « meurtre » de Al Dura, que toi-même affirmes dans ta lettre ouverte n’avoir jamais approchés.

 

Durant cette même époque, j’ai engagé un avocat, Maître Julien, pour porter plainte contre France 2 « pour diffusion de fausse nouvelle ayant entraîné un trouble de l’ordre public ». N’avait-on pas crié «  mort aux Juifs » dans les rues de Paris, dès le lendemain ? À la plainte, j’ai ajouté un dossier dont on peut encore retrouver trace sur le net aujourd’hui.

 

http://www.debriefing.org/A-Dura/

 

Curieusement, l’affaire a été rejetée par le Procureur de la République en moins de temps qu’il n’en faut à un propagandiste arabe pour convaincre son auditoire de la monstruosité d’Israël. Mon avocat, pourtant spécialisé dans les affaires de diffamation, n’en revenait pas.

 

J’espérais, avec nos échanges, percevoir une forme de regret de ta part, car j’étais convaincu que tu t’étais fait manipuler et que tu défendais désormais, tant bien que mal ton honneur. J’en étais venu à avoir de la compassion pour toi. En effet, quel fardeau cela doit être, pour un Juif, de se savoir indirectement, involontairement, et par maladresse, responsable de la mort de tant d’innocents. Innocents des deux côtés, Charles !

 

Car, si au lieu de préparer son Intifada Al Aqsa depuis deux ans déjà, Arafat n’avait pas refusé la proposition de Barak, s’il avait accepté la trêve proposée par Bill Clinton après la montée d’Ariel Sharon sur le mont du Temple, si Mr Chirac ne s’en était pas mêlé, avec toute la morgue et toute la suffisance qui caractérisent la politique française à l’égard d’Israël, et si, enfin, tu ne t’étais pas fait berner, rouler dans la farine, par le neveu d’un des fondateurs de l’OLP, j’ai nommé ton bien-aimé Talal, des milliers de morts auraient été évitées des deux côtés et, peut-être, aujourd’hui, les Arabes vivant dans les territoires disputés ( je confirme, il s’agit là d’une terminologie officielle, ancrée dans le droit international ) auraient déjà un pays, pour autant qu’ils en soient capables, sans l’aide internationale et celle d’Israël.

 

Tu as choisi l’ironie pour attaquer mon ami Philippe Karsenty. Ce faisant, indirectement, tu m’as attaqué. Car, pour la petite histoire, c’est moi qui ai initié Philippe à l’affaire Al Dura, quand nous étions tous deux membres d’une association Juive. Je lui ai confié mon dossier. J’ai fait acheter, par cette même association, le premier film d’Esther Shapira, que j’avais précédemment aidée, en lui confiant tous mes contacts en Israël et ma propre version des faits.

 

Beaucoup d’encre a coulé depuis cette tragique affaire. Nous avons tous deux écrit, été publiés, et nous avons tous deux réalisé nombre de documentaires et de reportages. Toi, avec les moyens d’une chaine qui te soutient. Moi... avec les moyens du bord.

 

Et c’est, en résumé, toute l’histoire d’Israël et de la propagande antijuive, qui s’est développée dans le monde comme un virus. Beaucoup, beaucoup de moyens, côté musulman. Peu d’engouement pour la propagande, ni de temps pour la mettre en oeuvre, côté israélien. J’emploie cette fois le terme musulman, car s’il ne s’agissait que d’un conflit territorial, celui-ci aurait été résolu depuis longtemps !

 

Confortablement installé à Jérusalem, muré dans tes positions indéfendables, ne sens tu pourtant pas souffler ce vent nauséabond qui, déjà, plus d’une fois dans notre histoire commune, nous a contraints à opter pour une position de survie ?

 

Dans nos échanges, tu m’as presque fait douter, lorsque tu m’as affirmé être un vrai sioniste, qui ne voulait pas prendre en charge le destin d’une population de culture différente. Ce point de vue qui consiste à vouloir tout céder pour enfin vivre en paix est, dans le fond, honorable, sinon acceptable. Mais dans ce cas, pourquoi systématiquement diaboliser Israël et fermer les yeux sur la réalité qui sévit en face ?

 

Pour que deux parties puissent arriver à un accord, encore faut-il que leurs espérances et objectifs soient réalistes, sinon réalisables. Tu sais, tout autant que moi, que les dirigeants palestiniens, et les dictatures arabes qui les soutiennent n’ont jamais eu d’autre but que la destruction d’Israël et que, faute d’y parvenir par la force armée, ils ont choisi la voie de la démonisation. Grâce à toi, entre autres « journalistes de bonne foi », cela fonctionne plutôt pas mal. De provocation en provocation. De mort en mort. Le malheur s’installe. Et le monde est convaincu que seul le Juif est porteur du Mal. Histoire connue.

 

Je conclurai ce billet d’humeur à toi adressé par une petite anecdote, que je t’ai déjà racontée et à laquelle tu n’as pas cru.

 

Alors que je tournais « La route de Jenin » (qui a été rediffusé la semaine dernière sur Arutz 1, en commémoration de la bataille), et que, pour faire plaisir à mon interlocuteur palestinien ( c’était aussi une question de survie ) je chantais hypocritement les louanges de Talal et de son scoop, celui-ci s’étant pris de sympathie pour moi m’a demandé si je «  pourrais être intéressé par une affaire semblable » en affirmant que cela pouvait s’arranger si j’avais quelques moyens. Tu n’as pas cru à mon histoire. Pour ma part, j’ai refusé que l’on tue un enfant de plus afin de me rendre célèbre et de faire avancer la cause palestinienne.

 

En contrepartie, mon interlocuteur a eu la gentillesse de m’arranger le faux témoignage d’une Palestinienne ayant soi-disant accouché à un checkpoint, par la faute des méchants soldats de Tsahal. Ce faux témoignage, et sa préparation, y compris l’intervention du médecin qui lui fait répéter son texte, sont partie intégrante de ce film que je t’ai envoyé et que je te recommande de voir.

 

Même si tu affirmes l’avoir déjà vu. Et même, si, pour reprendre tes termes, par gentillesse à mon égard, tu n’as voulu faire aucun commentaire après son visionnage.

 

Je regrette tout ceci. Et je rêve, tout comme toi, d’un retour dans le temps, à l’instant précis où tu as pris la décision de diffuser cette mort en direct, sans savoir. Le scoop avant tout !

 

Que ferais-tu si c’était à recommencer ?

 

Je te souhaite tout simplement d’arriver à dormir de temps en temps.