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Votée à une large majorité en 2012, une résolution des Nations unies accordait à la Palestine le prix le plus prestigieux qui soit pour le christianisme – la Route de pèlerinage de Bethléem et l’église de la Nativité. Aujourd’hui, les Palestiniens souhaitent ajouter à leur Liste du patrimoine mondial le Caveau des patriarches, le Tombeau de Rachel, les grottes de Qumran et les manuscrits de la mer Morte.
Il y a et il y a eu au sein de l’Unesco des professionnels accomplis – son Comité du patrimoine mondial en dénombre beaucoup. Ce professionnalisme nous a jadis aidés à fermer une discothèque polonaise qui avait ouvert ses portes à l’intérieur du camp de la mort d’Auschwitz.
Mais cette attitude a été ébranlée par une laïcisation et un dédain grandissants pour le nationalisme – particulièrement en Europe –, qui ont catalogué les Juifs comme les descendants d’une religion archaïque qui auraient dû abandonner des coutumes telles que la circoncision et l’abattage rituel. Sentiment d’appartenance et autodétermination du peuple juif sont perçus comme une dangereuse source de conflits au Moyen-Orient.
C’est pour relever ces deux défis – l’usurpation de leur identité par les Palestiniens et le besoin de refocaliser les esprits sur le lien ininterrompu depuis 3 500 ans entre les Juifs et leur patrie – que l’exposition du Centre Wiesenthal « Le Peuple, le Livre, la Terre » a vu le jour. Et l’Unesco constituait le lieu le plus approprié pour atteindre ce genre d’objectif culturel.
Après les expositions organisées à l’Unesco par le Vatican sur le christianisme et par l’Arabie saoudite sur l’islam, il semblait donc tout naturel que les Juifs du monde entier aient aussi l’occasion de présenter leur histoire et leur culture. Mais qu’une telle exposition soit proposée dans un organisme de l’ONU est devenu un défi politique majeur. Or, le point de vue de notre Centre n’a pas changé : maintenir – comme une ligne rouge à ne pas franchir – l’authenticité de l’histoire juive depuis la nuit des temps.
En même temps, il était hors de question que nous nous inclinions devant des saboteurs stériles. Nous avons reconnu une histoire inclusive : celle d’Eretz Israel (la Terre d’Israël) et celle d’Eretz Hakodesh (la Terre sainte).
Nous avons célébré notre contribution à un code de déontologie auquel le monde éclairé aspirait : la libération des esclaves, le repos écologique de la septième année, le shabbat, l’importance de l’éducation, la primauté de la paix et, par-dessus tout, les Dix Commandements.
L’exposition soulignait aussi le rôle des penseurs juifs dans l’Histoire, depuis la Déclaration des droits de l’homme de Cassin jusqu’à la Convention sur le génocide de Lemkin ; et comment, malgré l’exil, les expulsions et la Shoah – ou peut-être à cause d’eux –, une nation souveraine, une nation start-up, est née.
Raconter notre histoire toute particulière à ceux qui désirent nous mieux comprendre est devenu un exercice diplomatique. Après une de nos discussions avec l’Unesco, un des hauts responsables de l’Organisation avait fait la remarque suivante : « Ce séminaire est le plus passionnant de tous ceux auxquels j’ai assisté. »
Sans franchir notre ligne rouge, le voyage des Juifs à travers l’espace et le temps est devenu une pierre angulaire des valeurs universelles, qui se reflète tout spécialement dans l’acronyme de l’Unesco : éducation, science et culture.
Lors de l’inauguration, les saboteurs ont soit serré les dents soit ils sont restés absents. En tant que maître de cérémonie, j’ai présenté les ambassadeurs des quatre Etats qui nous ont parrainés : les Etats-Unis, le Canada, le Monténégro, et le dernier comme « l’ambassadeur de la Terre d’Israël ».
De l’équipe technique aux agents de sécurité, du département des médias au service du protocole et, en fait, jusqu’à la Directrice générale en personne, tous se sont laissé entraîner dans un siyoum festif (la fin d’une lecture de la Torah).
Etait-ce un miracle isolé ou un nouveau facteur de défi à la realpolitik de l’ONU ? Le lendemain de l’inauguration, la Directrice générale recevait dans la matinée une délégation de Juifs des pays arabes, qui demandaient la protection des sites du patrimoine juif dans leurs pays d’origine abandonnés.
Quoi qu’il advienne de cette requête, une chose est sûre : cette exposition transportera l’histoire des Juifs dans d’autres arènes internationales.
J’ai conclu l’inauguration en paraphrasant Elie Wiesel – le premier parrain de l’exposition : j’ai cité la parabole du rabbin qui demandait à ses élèves comment déterminer le début du jour nouveau.
— Quand on peut distinguer un figuier d’un dattier, dit un élève.
— Non, répondit le rabbin.
— Quand on peut distinguer une chèvre d’un mouton, dit un autre.
— Non, insista le rabbin.
— Quand on peut voir un homme riche et un homme pauvre, une femme noire et une femme blanche, et qu’on ne peut pas distinguer qui est qui : c’est à ce moment-là que le jour nouveau a commencé, répondit le rabbin.
Ce sont là les valeurs juives.
Finalement, l’exposition a marqué un jour nouveau et une victoire pour l’Unesco.
Shimon Samuels est le directeur des Relations internationales du Centre Simon Wiesenthal.