Tribune
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Publié le 13 Juin 2013

Où en est l'extrême droite en France?

Propos recueillis par Marie-Lucile Kubacki

 

Quelques jours après la mort de Clément Méric, puis de la dissolution des Jeunesses nationalistes révolutionnaires, des voix s'élèvent pour dénoncer une poussée de la violence sur fond de montée de l'extrême droite en France. Qu'en est-il exactement ? Le politologue Jean-Yves Camus, auteur de « Extrémismes en France : faut-il en avoir peur ? » décrypte pour nous le phénomène.

Assiste-t-on à une résurgence de l’extrême droite en France ?

                                                    

À l’extrême droite, on observe un changement de dynamique depuis que Marine Le Pen dirige le FN. Avant qu’elle n’en soit présidente, le FN acceptait en son sein des gens qui pouvaient appartenir à d’autres groupuscules radicaux ou professer une idéologie radicale. Officiellement, la double appartenance était interdite par les statuts, mais dans la pratique, il y avait assez peu de contrôles. L’assassinat le 1er mai 1995 de Brahim Bouarram, jeune homme d’origine marocaine, poussé dans la Seine par des skinheads en marge du cortège du FN, a changé la donne. Le parti  a compris que son image et sa réputation étaient en jeu et il a mis à disposition de la police les bandes vidéos qui ont permis d’appréhender les agresseurs. À partir de là, il a commencé à vouloir faire le grand nettoyage. Quand Marine Le Pen est arrivée en janvier 2011, elle a assez rapidement exclu des gens qui professaient des opinions particulièrement radicales. Cela a créé un petit espace à droite du Front, avec 3000 personnes tout au plus.

 

L’exclusion de ces membres « radicaux » ne les a-t-elle pas radicalisés davantage?

 

Si. Quand on ne trouve pas de débouché proprement politique, le ton monte... D’autant que les nouveaux médias ouvrent à la surenchère verbale : on est de plus en plus virulents sur Facebook, Twitter et les forums de discussion. Cette rhétorique belliqueuse peut assez facilement inciter des gens, par ailleurs peu structurés idéologiquement, à passer du côté de la violence physique. Le climat actuel est caractérisé par une sorte d’échauffement généralisé des esprits, accru par le fait que les militants de cette mouvance sont souvent jeunes, se savent persona non grata au FN, et que leurs groupes, pris de manière autonome, n’ont pas de perspective. Pris dans une sorte de cul-de-sac, ils peuvent être tentés de compenser le faible nombre de militants et le faible écho de leurs mouvements par un passage à la violence d’autant plus facile que le culte de la violence est présent dans leurs groupes. Une violence exercée envers des cibles qui n’ont pas beaucoup changé au fil de l’Histoire : les opposants politiques de gauche et d’extrême gauche, les minorités ethniques et religieuses, les homosexuels et tous ceux qui ont le malheur de présenter un signe visible de leur différence.

 

On a vu certains de ces mouvements présents dans les Manifs pour tous. L’opposition au mariage pour tous a-t-elle été un terreau pour les extrémistes ?

 

Je ne vois pas les choses comme cela. Civitas, le Renouveau Français, les Jeunesses nationalistes, l’Œuvre française et le GUD ont manifesté, mais ils existent depuis très longtemps ! Ils n’ont fait que trouver dans les manifestations anti-mariage pour tous une bonne occasion d’apparaître sous l’œil des caméras et d’utiliser ces manifs qui rassemblaient beaucoup de monde comme caisse de résonance. Ça leur a permis de recruter un peu, de se montrer, de diffuser leur message, mais c’était l’occasion qui faisait le larron. Ces mouvements ne sont pas nés avec les Manifs pour tous.

 

En marquant sa différence par rapport à ces groupes, le Front National cherche-t-il à faire oublier l’étiquette « extrême droite » qui lui est collée ?

 

Marine Le Pen a compris deux choses : pour devenir un parti véritablement normalisé aux yeux des Français et devenir acceptable aux yeux des alliances locales, le FN doit être irréprochable sur la question de l’Histoire et établir un cordon vis-à-vis des groupes radicaux. Sur la question de l’Histoire, il n’y a plus de petites phrases sur le « point de détail » et sur le cordon sanitaire, il y eut cette tentative d’exclure les éléments les plus embarrassants. Le FN est pris dans cette ambiguïté permanente entre la volonté d’être un parti comme les autres et la récurrence des affaires révélant qu’en son sein militent des gens qui professent des idées pas comme les autres. Des événements comme celui de la semaine dernière ne desservent pas le FN : tous les projecteurs se braquent sur des groupes tellement radicaux qu’à côté il passe pour un parti plus respectable. Ainsi, par contraste, on a moins de mal à la croire quand elle dit : « nous ne sommes pas d’extrême droite ».

 

On décrit souvent les militants d’extrême droite comme des gens peu formés, en difficulté sociale... Est-ce le cas ? Y a-t-il une sociologie de l’extrême droite ?

 

Il ne faut rien caricaturer. Les militants, y compris ceux des groupuscules, ne sont ni des gens d’intelligence inférieure, ni des sous-citoyens. Serge Ayoub lui-même a une culture d’autodidacte. Chez les électeurs, structurellement, plus on a un niveau de diplôme élevé, moins on vote FN. Voilà pourquoi la catégorie de jeunes ciblée par les frontistes et les groupuscules sont ceux qui ont eu une entrée rapide dans la vie active et se trouvent confrontés à tous les problèmes de l’époque, insertion dans le monde du travail, coût des études et délocalisations. [...]

 

Retrouvez la suite de cet interview ainsi qu’un dossier sur l'extrême-droite dans l'édition n° 3657 de La Vie, en version numérique en cliquant ici