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La Shoah et la Teshuvah
« La Shoah, conçue par les chefs de l'Allemagne nazie comme l'anéantissement systématique et total des Juifs, fut mise en oeuvre en Europe entre 1939 et 1945. Cet horrible crime fut perpétré au milieu des Nations considérées comme les plus civilisées de l'humanité du fait de leur histoire, de leur culture, de leurs traditions religieuses, du progrès scientifique. En dépit des tentatives répétées de révisionnisme qui ne sont pas dignes de crédit, il nous semble naturel aujourd'hui de mentionner, parmi les lieux du génocide, celui qui semble en résumer en quelque sorte tous les aspects maléfiques et négatifs: Auschwitz.
Le Pape a fait cela, lui aussi, dans un texte commençant par ces mots: "Il y a cinquante ans", texte écrit à l'occasion du 50e anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale en Europe. En parlant d'événements aussi a eu lieu à Bâle en 1989, et il envisage la prochaine avec une grande espérance. Il cite d'abord les paroles de Matthieu 5,24: "Si tu vas présenter ton offrande à l'autel, ... "; puis il raconte la parabole émouvante de la réconciliation des deux Frères.1 Il poursuit alors ainsi terribles, il mentionne Auschwitz et dit: "Auschwitz, à côté de tant d'autres camps, reste le symbole dramatiquement éloquent des conséquences du totalitarisme. Faire un pèlerinage sur ces lieux, par la mémoire et par le coeur, est un devoir en ce 50e anniversaire: je m'agenouille, disais-je déjà en 1969 durant la messe célébrée dans une localité proche d'Auschwitz, sur ce Golgotha du monde contemporain. Comme je l'ai fait alors, je renouvelle en esprit mon pèlerinage à ces camps d'extermination. Je m'arrête avant tout devant la pierre qui porte l'inscription en hébreu, pour faire mémoire du peuple dont les fils et les filles étaient destinés à l'extermination totale, et pour répéter que nul n'a le droit de passer outre avec indifférence".
Il est encore très difficile aujourd'hui de situer cet abîme du mal à l'intérieur de l'histoire de l'Europe et de l'humanité.2 On assume encore trop peu le devoir de méditer sur la Shoah. Les définitions mêmes de "crime contre l'humanité" - terme de droit international - ou de "péché contre Dieu et contre l'humanité" - l'expression de Jean-Paul II - quoique venues d'une intention très noble, n'ont pas encore pénétré à fond la conscience des générations qui ont suivi la Shoah. Peu nombreux, je pense, sont ceux qui la ressentent comme une blessure encore sanglante, ouverte dans la chair et le coeur d'un peuple qui vivait depuis deux millénaires en Europe, s'y abreuvant à la lumière spirituelle de la Bible et du Talmud, entretenue surtout au cours des derniers siècles dans les Yeshivot d'Europe de l'Est, ou alors, s'étant intégré en Europe occidentale, après des siècles de persécutions, sans pour autant renoncer à sa propre tradition.
C'est peut-être justement maintenant, cinquante ans après, qu'est venu enfin le moment de répéter avec plus de force que le devoir de soigner ces plaies nous incombe directement à nous, en Europe, parce que c'est ici que cette terrible extermination a été perpétrée. Et cela, non pas en raison d'un concept de responsabilité collective, mais d'un sens de solidarité morale face à la nuit du mal, qui cherche à nous saisir nous aussi aujourd'hui. Si nous sommes prêts à ce changement radical de nos coeurs, nous serons alors disponibles à la conversion -Teshuvah- et à la réconciliation.
Nous pourrons alors regarder Israël avec des yeux neufs, ce peuple douloureusement humilié, privé de millions de vies, dont un million d'enfants. Pourtant, ce qui est étonnant, ce peuple ainsi blessé n'a pas crié vengeance, n'a pas harcelé l'Europe de manifestations d'émigrés, n'a pas semé un terrorisme sanguinaire. Depuis cinquante ans, Israël cherche une sécurité sur sa terre et dans la diaspora, et il ne cesse de s'interroger et de questionner le monde sur la Shoah. Le message des prophètes d'Israël -"construire la paix dans la justice"- continue à inspirer les idéaux et les choix de ce peuple, au sein même des contradictions qui sont toujours l'apanage de notre humaine condition de péché et d'imperfection. Ainsi, nous pouvons bien reconnaître le peuple juif dans le geste fraternel de celui qui, frappé injustement, tend cependant encore les bras pour élever un chant d'amour confiant vers Dieu et vers tout être humain. Et ce geste prend encore davantage de sens, si nous comprenons que cela arrive ici, maintenant, après la Shoah, qui fut la tentative ultime de supprimer Dieu en supprimant son peuple. »
1. Y. Katznelson, Il canto del popolo ebraico massacrato, Giuntina, Florence 1995.
2. Pensare Auschwitz, numéro monographique de Pardès, co-édition Thalassa De Pas, Luca Gentili et Tranchida, 1995.