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Pour diffuser ces images et ces informations, les shebab n’ont pas choisi une chaîne de télévision, un forum islamiste, un hébergeur de vidéos en ligne ou leur propre site Web, mais Twitter, le réseau social grand public qui compte aujourd’hui 200 millions d’utilisateurs actifs à travers le monde, dont plus de 5 millions en France.
Pourquoi ont-ils choisi ce moyen de diffusion? Évidemment pour la caisse de résonance que constitue Twitter, réseau sur lequel tous les messages sont aisément repris et amplifiés. Mais aussi, car les contenus publiés via cette arme de communication massive ne sont jamais modérés... ou presque.
Voilà pourquoi la suspension de ce compte est inattendue. Jusqu'à présent Twitter s'est toujours défendu de modérer, qu'il s'agisse du compte de terroristes, de propos antisémites, racistes ou autres. La disparition du compte des shebab relance donc les interrogations sur la modération de ce réseau social qui fait de plus en plus fréquemment les gros titres de la presse française lorsqu'un dérapage s'y produit.
La veille, la justice française a d'ailleurs ordonné au réseau social d'aider à identifier les auteurs de tweets racistes et antisémites et de mettre en place une procédure de modération. Alors que les pressions s'intensifient, comment réagit Twitter face à l'horreur?
La fin de HSMpress (ou presque)
Créé en décembre 2011, le compte Twitter des shebab diffusait dans un anglais courant les informations sur leurs dernières batailles, et les dégâts infligés à leurs adversaires. Suivi par plus de 21.000 internautes, le compte n’hésitait pas à publier les photos des morts. La dépouille du chef du commando français n'est donc pas le premier cadavre à avoir été exhibé par @hsmpress et certaines images sont plus atroces encore que celles du militaire français et leurs mises en scène.
Twitter n’avait jamais modéré aucune de ses photos. Quant aux dernières images du Français, l’équipe du réseau social n’avait pas réagi à l’indignation des internautes ou aux questions des médias au moment de leur publication.
Contacté par le Huffington Post le 17 janvier, le réseau social n'avait pas désiré s’épancher sur ce sujet. Après avoir promis une réponse rapide, Twitter avait fait marche arrière et répété que le réseau social “ne peut pas intervenir sur des comptes individuels, mais que la politique de la plateforme est clairement établie sur le site. Les utilisateurs peuvent à tout moment signaler une violation des conditions d'utilisation".
Et si le compte anglais des shebab a été suspendu ce vendredi, le compte arabe des terroristes (@HSMPress_arabic) est, quant à lui, toujours actif. Bien moins suivi et connu du grand public que @HSMPress, ce profil publie toutefois les mêmes messages et photos que son "grand frère" anglophone. Les photos du soldat français y sont toujours visibles et les shebab ont déjà ironisé sur la suspension de leur compte principal en tweetant "une nouvelle preuve de la liberté d'expression en Occident", sur ce compte.
Interrogé une nouvelle fois par le Huffington Post, Twitter n'a pas souhaité donner d'explications sur la soudaine suspension du compte anglais des shebab car, en principe, Twitter ne modère pas et le réseau social communique encore moins sur ses manipulations au cas par cas.
Modération zéro
Twitter ne modère pas, les photos des morts français en Somalie... comme Twitter ne modère pas les tweets antisémites, homophobes et racistes (comme l’a montré la polémique autour des hashtags ou mots-clés #UnBonJuif, #SiMaFilleRamèneUnNoir et #SiMonFilsEstGay). Twitter ne modère pas non plus les tweets d’un rappeur américain qui commente les étapes de son suicide ou les insultes que reçoit quotidiennement Christine Boutin.
Les débordements d’une poignée d’utilisateurs du réseau social font les gros titres de la presse française, gouvernement et associations veulent agir, mais Twitter est aux abonnés absents.
Invité à se présenter devant les autorités françaises pour régler les problèmes de messages antisémites et racistes le 7 janvier, Jack Dorsey, patron et cofondateur de Twitter, a fait faux bond. Jeudi, la justice française a ordonné au réseau social de collaborer avec les autorités françaises, mais le réseau social n'a pas encore donné signe de vie sur ce dossier.
“Nous ne supprimons pas de tweets sur la base de leur contenu”, s’obstine donc le réseau social en se fondant sur le droit américain, qui encadre bien moins la liberté d’expression que dans notre pays.
Gazouillis et 1er amendement
Comme le rappelait Le Monde au moment de la polémique #UnBonJuif, si en France, notre liberté d'expression est encadrée par des lois, aux États-Unis, cette liberté est quasiment totale. Le 1er amendement de la Constitution américaine précise que "Le Congrès ne fera aucune loi pour conférer un statut institutionnel à une religion [aucune loi] qui interdise le libre exercice d'une religion [aucune loi] qui restreigne la liberté d'expression, ni la liberté de la presse, ni le droit des citoyens de se réunir pacifiquement et d'adresser à l'État des pétitions pour obtenir réparation de torts subis (sans risque de punition ou de représailles)."
En se référant au sacro-saint 1er amendement, Twitter a toujours été le réseau ouvert, technologiquement, mais aussi moralement. Toutes les opinions y sont tolérées, et, puisque la base de ses utilisateurs est anglo-saxonne, son public est largement sensible à la liberté d’expression totale.
Débrouillez-vous entre vous
D’ailleurs Twitter est tellement ouvert que le réseau a délégué la modération à ses utilisateurs. Le twittos peut ainsi décider si un compte, un tweet ou un contenu multimédia va trop loin et le signaler. Après l'émotion suscitée par les photos du soldat français (et comme Twitter refuse toujours d'en parler), il est fort possible que le compte des shebab ait été suspendu après de nombreux "signaler comme spam" de la part des membres du réseau social.