Tribune
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Publié le 13 Juin 2013

Pour l'abolition universelle de la peine de mort

Par Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères. Co-signé par José Manuel García-Margallo, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération (Espagne) ; Espen Barth Eide, ministre des Affaires extérieures (Norvège) ; Didier Burkhalter, Chef du Département fédéral des Affaires extérieures (Suisse).

 

Les progrès vers la protection effective des droits de l'homme ont connu une histoire difficile, avec des hauts et des bas, des coups d'arrêt, quelquefois des retours en arrière. 

Mais, progressivement, un ensemble de règles et de pratiques garantissant des droits universellement reconnus se consolide, sans que personne ou presque ne les remette plus en question. L'abolition universelle de la peine capitale est une des étapes les plus ardues sur ce chemin. Cela fait largement plus de deux siècles que le père du droit pénal contemporain, Beccaria, écrivait : "si je prouve que la mort n'est ni utile ni nécessaire, j'aurai gagné la cause de l'humanité".

 

Ce n'est pourtant qu'au XXème siècle que la peine de mort a commencé à être abolie, car reconnue comme un châtiment cruel, inhumain et dégradant, dépourvu d'effets dissuasifs sur le comportement criminel et produisant des effets irréparables en cas d'erreur judiciaire.

 

Aujourd'hui les progrès vers l'abolition universelle sont réels. Ce n'est plus une utopie, mais une cause concrète en passe de l'emporter. Les avancées normatives internationales en matière de droits de l'homme nous rapprochent de l'objectif abolitionniste, d'abord de façon indirecte à travers le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, puis comme règle positive grâce au deuxième Protocole facultatif à ce Pacte, en 1989. Celui-ci a été accepté et ratifié par un nombre croissant de pays des cinq continents. En parallèle, des instruments à caractère régional, mis en œuvre par le Conseil de l'Europe en ce qui nous concerne, renforcent cette tendance. Et plusieurs règles se généralisent, comme celles interdisant l'application de la peine capitale aux mineurs au moment des faits, aux femmes enceintes, aux handicapés psychiques.

 

Au sein de l'Assemblée générale des Nations unies, les soutiens sont de plus en plus larges en faveur des résolutions défendant l'abolition et la généralisation d'un moratoire sur les exécutions des peines comme étape intermédiaire. La dernière de ces résolutions a été approuvée en décembre 2012, par 111 voix pour, 41 voix contre et 34 abstentions. La tendance vers l'abolition est incontestable, d'où la nécessité de redoubler les efforts pour la prolonger.

 

La bataille de l'opinion

 

La bataille de l'opinion publique est encore loin d'être remportée, même en Europe où un pays [la Biélorussie NDLR] continue toujours d'appliquer la peine de mort. Les efforts pédagogiques ne doivent pas faiblir. Il faut une large mobilisation des responsables à tous les niveaux afin d'expliquer sans relâche la nécessité de l'abolition. Il faut marteler que l'État ne peut pas et ne doit pas se mettre au même niveau que l'auteur d'un crime.

 

La mobilisation de la société civile est décisive aux côtés des gouvernements abolitionnistes et rétentionnistes, du monde académique, des associations, à travers notamment des événements permettant un large débat. Le 5e Congrès mondial contre la peine de mort s'inscrit dans cette dynamique. Organisé par "Ensemble contre la Peine de Mort" en collaboration avec la Coalition mondiale contre la peine de mort, il a lieu à Madrid du 12 au 15 juin, avec le soutien et le parrainage officiel conjoint de nos quatre gouvernements. Ce Congrès offre un espace de mobilisation unique aux acteurs de l'abolition. La variété des participants montre que l'abolition de la peine de mort n'est pas une question de culture ou de civilisation.

 

Nos gouvernements peuvent faire beaucoup ; nous l'avons d'ailleurs fait dans des circonstances très diverses, parfois avec la discrétion nécessaire, parfois en réaffirmant ouvertement notre engagement devant l'opinion publique. Nous avons également, ces dernières années, apporté notre soutien à des démarches indépendantes et courageuses telles que la Commission internationale contre la peine de mort, formée par de hautes personnalités reconnues pour leur engagement personnel contre la peine de mort. Avec la société civile, les organisations non gouvernementales luttant dans le monde pour l'abolition universelle, les citoyens engagés, les jeunes notamment, qui considèrent souvent l'abolition comme naturelle, nous voulons être à l'origine du dernier élan vers la disparition de la peine de mort. Nous espérons que le Congrès de Madrid représentera une étape décisive sur ce chemin ardu. Nous nous mobilisons pour que les débats qui s'y tiendront permettent un engagement renouvelé et renforcé en faveur de l'objectif ultime de l'abolition.