Tribune
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Publié le 13 Février 2014

Quand les Lumières se perdent»

Tribune de Frédéric Haziza, journaliste à LCP et Radio J et auteur de Vol au-dessus d'un nid de fachos (Fayard, 2014), publiée dans le Figaro le 12 février 2014

 

Parmi d'autres cibles, M. Philippe Bilger m'attaque dans une tribune récente. Non seulement il ironise sur le livre que j'ai écrit, « loué, comme un rituel, par les Ministres l'évoquant », mais il m'insulte encore, me traitant de «dénonciateur compulsif» de l'antisémitisme, d'un antisémitisme supposé, qui serait même pour lui une pure invention de ma part.

Toute la démarche de cet ancien procureur reconverti dans la polémique consiste à minimiser l'antisémitisme et le danger représenté aujourd'hui par M. Soral et M. M'Bala M'Bala, et c'est ce qui le pousse à attaquer M. Valls, M. Cohen ou moi-même. Ma propre démarche vise à alerter le large public des citoyens que les propos de Soral terrifieraient s'ils les entendaient, et qui ignorent non seulement ce qu'ils sont, mais aussi, hélas, leur portée et leur succès auprès d'un public plus large encore, mais dont les circuits d'informations sont autres: les forums et les sites internet plutôt que Le Figaro, Le Monde ou même la télévision. M. Bilger et moi visons donc les mêmes lecteurs, mais alors que je prétends les éclairer sur le danger que court la République, il les endort.

 

La rhétorique et les discours d'Alain Soral et de Dieudonné ne sont pas seulement un danger pour ceux qu'ils attaquent seulement: les juifs ou les homosexuels, entre autres. La violence «décomplexée» avec laquelle ils visent certaines catégories de la population, et jusqu'aux femmes dont la condition est toujours synonyme d'abjection dans leur bouche, nous concerne tous. C'est à un véritable ensauvagement de la parole publique que nous assistons. La loi fait ce qu'elle peut pour l'endiguer, mais cette vague est puissante.

 

Qui ignore la fragilité économique et la précarité dans laquelle vivent tant de nos concitoyens? Qui ignore la perte de repère massive qui bouleverse notre société?

 

Dans ce contexte inquiétant, la complaisance envers les bonimenteurs extrémistes est le pire des remèdes. Je ne sais pas si M. Bilger le mesure: peut-être n'est-ce pas tant de la complaisance que de l'aveuglement quant aux conséquences de cette «liberté d'expression» dont il a l'air de croire qu'elle n'aurait pas, contrairement aux autres formes de liberté, à s'arrêter là où commence celle des autres. Car, en effet, je le dis en passant, si l'on dit publiquement que Patrick Cohen devrait être envoyé à la chambre à gaz, comme l'a fait le prétendu humoriste que M. Bilger défend, ce propos exprime peut-être la formidable liberté de celui qui le prononce, mais il peut bien nuire à celle de Patrick Cohen, ou tout simplement, s'il était entendu par un nouveau Merah, à sa vie… Lire la suite.