Tribune
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Publié le 15 Mars 2013

Que va apporter Obama dans ses bagages ?

 

Par Leslie Susser pour le Jérusalem Post

 

Iran, Syrie, négociations israélo-palestiniennes. De très nombreux sujets attendent le président américain et Benjamin Netanyahu pour cette nouvelle rencontre. Décryptage.

 

Déclarations, rumeurs, spéculations… La visite tant attendue du président Obama, courant mars, sera plus bien plus qu’une simple manifestation de solidarité. Elle devrait influencer de nombreuses questions de première importance. Avant d’en analyser quelques-unes en profondeur, un petit tour d’horizon s’impose.

 

Tout d’abord, le déplacement pourrait avoir un impact majeur sur le dossier nucléaire iranien. Barack Obama voudra persuader le Premier ministre Benjamin Netanyahu de ranger l’épée au fourreau et de laisser faire les États-Unis pour empêcher la République islamique d’obtenir la bombe atomique. Mais Netanyahou ne voudra pas céder le droit d’Israël à agir militairement pour se défendre d’une menace considérée comme existentielle. Du bon déroulement de ce dialogue dépend la suite du dossier iranien au cours des prochains mois. Et, plus généralement, alors que le Proche-Orient traverse une période d’incommensurables changements, la visite permettra aux deux leaders de coordonner leurs positions sur un certain nombre de questions stratégiques, bien au-delà de la bombe iranienne : la guerre civile en Syrie, la reprise des pourparlers avec les Palestiniens et la nouvelle réalité des gouvernements islamistes dans toute la région et, en particulier, en Égypte.

 

La rencontre intervient un à moment où l’alliance israélo-américaine paraît plus forte que jamais. Les États-Unis ont prépositionné des équipements militaires d’urgence dans l’État hébreu d’une valeur estimée à 1,2 milliard de dollars. Les deux pays tiennent régulièrement des exercices militaires communs des plus sophistiqués et coopèrent en matière de défense antimissile. Les États-Unis arment Israël, avec notamment des avions de chasse dernier cri F-35 qui devraient être prêts pour 2016. L’État hébreu a adopté la « Révolution des affaires militaires » américaine basée sur des armes de précision à longue portée et les États-Unis ont été séduits par les méthodes de lutte antiterroriste israéliennes. Les deux pays échangent également des renseignements secrets de la plus haute importance.

 

Enfin, un grand nombre d’intérêts communs unissent ces alliés de toujours : empêcher Téhéran de devenir une puissance nucléaire, écarter la Syrie post-Assad de l’axe iranien, maintenir la stabilité en Jordanie, préserver le traité de paix égypto-israélien, contribuer à stabiliser la mainmise égyptienne sur le désert du Sinaï et enfin, et non des moindres, la relance du processus de paix.

 

Mais d’énormes différences existent sur les moyens d’y parvenir pour les deux capitales ; en particulier concernant l’Iran et les Palestiniens. Des divergences qui ont créé de nombreuses frictions entre les deux administrations et, à un niveau personnel, entre Obama et Netanyahou. L’un des objectifs de la visite du président américain est donc de convaincre le peuple israélien de ses bonnes intentions et de sa fiabilité en matière de menaces existentielles.

 

Washington attaquera, ou pas ?

 

Sa première mission sera de persuader Netanyahou d’attendre patiemment en laissant les États-Unis gérer le dossier iranien. Les Américains croient à l’effet des sanctions économiques et diplomatiques et ne sortiront de leur manche l’action militaire qu’en dernier recours. Mais l’État hébreu redoute que les Iraniens ne fassent tout pour gagner du temps et arriver à la fameuse « zone d’immunité » où le programme d’enrichissement sera tellement avancé qu’il ne pourra plus être stoppé.

 

Obama rappellera que le but américain ne vise pas à empêcher l’Iran de se doter d’un programme nucléaire, mais seulement de la bombe atomique, et que la puissance militaire des États-Unis étant supérieure à celle d’Israël, Washington peut se permettre d’attendre bien plus longtemps que Jérusalem avant de se résoudre à une offensive. Il redira que son pays s’engage à employer tout « ce qu’il faut » pour empêcher Téhéran d’arriver à ses fins, y compris l’usage de la force, mais qu’une action israélienne précipitée pourrait engendrer une guerre générale inutile et souhaitée par personne.

 

De son côté, Netanyahou reviendra sur le fait que les États-Unis ont déjà échoué à empêcher la Corée du Nord, le Pakistan et l’Inde de devenir des nations nucléaires et arguera qu’Israël ne peut prendre le risque de voir son allié échouer à nouveau, allié qui, lui, peut vivre sous une menace nucléaire tandis que l’État hébreu ne peut se le permettre.

 

En d’autres termes, Bibi redoute de voir Téhéran entrer dans une phase où une attaque israélienne n’aurait plus d’effet, ce qui ne laisserait plus à Jérusalem qu’à se fier à une action militaire américaine. Action qui pourrait ne jamais arriver.

 

Comment, alors, Obama pourrait-il persuader le chef du gouvernement israélien de la capacité américaine à pouvoir mettre le holà aux ambitions iraniennes ? Une des pistes serait d’impliquer Jérusalem dans la planification militaire.

 

Telle était d’ailleurs la démarche de certains généraux américains lorsqu’ils ont fait part de leurs plans aux Israéliens l’année dernière.

 

Une autre option pourrait être un ultimatum américain aux Iraniens. C’est ce que voulait dire Netanyahou lors de ses derniers commentaires au mois de février : « Je crois qu’il revient à la communauté internationale d’intensifier les sanctions et de dire très clairement que si l’Iran continue son programme, il y aura également des sanctions militaires », a-t-il déclaré.

 

Dans cette optique, le Premier ministre aimerait voir les Américains élaborer une option militaire crédible. Il y accorde une énorme importance. Au mieux, cela pourrait dissuader les Iraniens. Et au pire, cela permettrait aux États unis et à leurs alliés d’agir rapidement en cas de besoin, avant qu’il ne soit trop tard.

 

Si Obama parvient à persuader Netanyahou, ce dernier pourrait accepter de faire profil bas tant que les États-Unis lui paraîtront contrôler la situation. Mais il est hautement improbable que Bibi promette de ne rien faire seul, quelles que soient les circonstances. « Pour Netanyahou, le premier rôle de l’État juif est de conférer au peuple juif la capacité et le droit de se défendre lui-même. Je le vois même céder ce droit ou accepter tout “sous-contrat” lorsqu’il s’agit de réelle menace envers l’État d’Israël », confie ainsi l’un de ses proches collaborateurs.

 

Les (dés)illusions syriennes

 

La guerre civile en Syrie pose également un défi stratégique de taille aux deux pays. Les États-Unis et Israël partagent deux objectifs majeurs : voir la dictature d’Assad remplacée par un régime modéré, pro-occidental et détaché de l’Iran d’une part et empêcher les armes biochimiques et autres arsenaux d’atterrir en de mauvaises mains, comme les djihadistes soutenus par al-Qaïda ou encore le Hezbollah, d’autre part.

 

Fin janvier, l’armée de l’air israélienne aurait bombardé des convois de missiles antiaériens à destination du mouvement chiite libanais, à proximité de la frontière syro-libanaise, dans la zone d’un centre de recherche biologique et chimique.

 

D’autres attaques israéliennes de ce type, avec le soutien américain, sont envisageables à l’avenir. Mais Netanyahou et Obama peuvent-ils réellement contrer l’influence djihadiste et iranienne tout en promouvant un régime pro-occidental qui romprait avec l’axe mené par Téhéran ? Un tel changement produirait un véritable renversement de situation dans la région et aurait d’énormes répercussions.

 

Selon Amos Yadlin, ancien chef des renseignements militaires et directeur de l’Institut pour les études de stratégies nationales basé à Tel-Aviv, les États unis doivent, coûte que coûte, coopérer avec la Russie afin d’accélérer la fin du régime Assad et mettre un terme au bain de sang. Et parce que les enjeux sont si importants, Yadlin préconise que Washington envisage un marchandage avec Moscou sur d’autres sujets d’intérêts pour les Russes. L’expert suggère également que les États-Unis décident d’une zone d’exclusion aérienne, en coopération avec l’OTAN et la Turquie, tout en bombardant des infrastructures vitales pour le régime de Damas, depuis la frontière turque, afin que la guerre prenne fin.

 

Mais le Premier ministre a des doutes là-dessus. Pour Netanyahou, le régime est encore loin de s’effondrer.

 

Et il lui semble plus probable que la guerre civile dure encore de longs mois, avant de faire place à une sévère fragmentation civile et avec des prises de pouvoir multiples par différents groupes dans tout le pays. Bibi ne fonde pas davantage d’espoir sur un éventuel régime pro-occidental et anti-iranien. « Nos options en Syrie sont mauvaises, très mauvaises et pires encore », se plaît-il à répéter, vu la nature islamiste de l’opposition à Assad.

 

En clair : l’État hébreu n’envisage pas d’intervenir en Syrie sous quelle condition que ce soit, à l’exception peut-être d’une éventualité où les armes chimiques tomberaient entre de mauvaises mains. « Nous sommes focalisés sur des arsenaux spécifiques en Syrie et sur ceux qui les contrôlent », confirme ainsi une source officielle de l’establishment militaire.

 

John Kerry, déterminé jusqu’à l’obsession

 

Obama n’amènera pas un nouveau projet de paix dans ses bagages. Mais les pourparlers entre Israéliens et Palestiniens tiendront une place de choix dans son programme. « Nous n’allons pas débarquer avec un plan, en expliquant à tout le monde ce que chacun doit faire. Je veux mener des consultations et le président veut écouter », a ainsi assuré le nouveau secrétaire d’État John Kerry au mois de février.

 

En coulisse, Washington n’en a pas moins ardemment travaillé avec les négociateurs, israéliens comme palestiniens, pour donner une nouvelle chance au processus de paix, toujours basé sur la solution à deux États. Côté israélien, c’est le conseiller à la sécurité nationale Yaakov Amidror et l’avocat Itzhak Molcho, représentant spécial du Premier ministre, qui se sont rendus dans la capitale américaine pour plusieurs semaines consécutives au mois de février.

 

Côté palestinien, c’est l’éternel Saeb Erekat, négociateur en chef de l’Autorité palestinienne qui est venu rencontrer John Kerry à peu près au même moment.

 

Selon certains, le secrétaire d’État serait « déterminé jusqu’à l’obsession » à obtenir un tournant majeur dans les négociations israélo-palestiniennes. « Une si grande partie de ce que nous souhaitons réaliser et de ce que nous devons accomplir au plan international est en rapport avec le Maghreb, l’Asie du Sud, l’Asie du centre-est, et tout au long du Golfe.

 

Mais tout cela pourra ou ne pourra pas se faire en fonction de la situation israélo-palestinienne », a déclaré le diplomate lors de ses audiences de confirmation à la Commission des relations étrangères au Sénat, au mois de janvier.

 

Son équipe prépare d’ores et déjà des propositions destinées aux deux parties pour la relance des pourparlers. D’ici quelques mois, ces propositions pourraient accoucher de nouveaux paramètres américains sur les questions de fond afin de pousser les négociateurs à se mettre d’accord. Dans ce contexte, la visite d’Obama, qui se rendra à Jérusalem comme à Ramallah, pourrait poser les jalons d’une plus ample initiative de paix à venir.

 

Par le passé, la position de Netanyahou a été de reprendre les négociations sans aucune forme de pré-condition. Ce qui a été interprété par les Palestiniens comme un retour à la case départ, et le largage par-dessus bord tous les accords et compromis précédemment atteints par les parties au cours des négociations. Bibi a même refusé d’accepter le principe des frontières de 1967 avec échanges de territoires, basé sur des négociations territoriales alors que l’ancien Premier ministre Ehud Olmert et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas s’étaient entendus sur ce point.

 

Les Palestiniens, eux, voulaient reprendre les pourparlers là où Abbas et Olmert les avaient laissées en 2008 ; Netanyahou voulait recommencer à zéro.

 

Vers la paix ?

 

Avec Obama à Jérusalem, le leader sera-t-il prêt à aller plus loin pour attirer de nouveau les Palestiniens à la table des négociations ? « Nous sommes prêts à jouer notre rôle pour reprendre les pourparlers », réagit laconiquement une source diplomatique officielle. Difficile d’en comprendre davantage, faute de détails, mais la formule semble indiquer une disposition israélienne à aller de l’avant. Ce qui pourrait mener à nouvelle situation, basée sur des concessions et de gestes de bonne volonté, soutenus par des moyens de défense américains et des garanties économiques.

 

Par exemple, l’État hébreu pourrait se montrer prêt à discuter d’un accord territorial basé sur les frontières de 1967 et des échanges de territoires. En retour, les Palestiniens pourraient accepter de discuter de la sécurité et des territoires d’abord, pour laisser les sujets ultrasensibles de Jérusalem et des réfugiés à plus tard. Israël pourrait également libérer les prisonniers palestiniens et geler les constructions à l’extérieur des grands blocs d’implantations.

 

En échange de quoi, les Palestiniens pourraient se réengager à la non-violence, éviter toute incitation anti-israélienne et abandonner toute revendication sur l’État juif une fois conclu un accord permanent. Tout cela pourrait s’ébaucher durant la visite d’Obama, d’autant que Netanyahou paraît plus déterminé cette fois-ci à parvenir à un accord avec les Palestiniens.

 

Le Premier ministre semble en effet avoir été influencé par l’impatience internationale croissante face à la situation dans les territoires palestiniens, qui dure désormais depuis 45 ans. Netanyahou craint également les humeurs de l’opinion israélienne pour qui seul un Premier ministre qui accomplit de grandes choses a des chances de se faire réélire.

 

Plus important encore, la nouvelle équipe américaine est prête à se donner à fond pour voir les choses avancer dans le bon sens. Et la nomination de Tzipi Livni à la tête des négociations avec les Palestiniens est un signal du nouvel engagement de Bibi. Reste à savoir si ce dernier souhaite vraiment parvenir à une solution à deux États ou simplement maintenir la communauté internationale à distance.

 

La rencontre entre Obama et Netanyahu ce mois-ci a peu de chances de déboucher sur une belle amitié. Les deux hommes ne se supportent tout simplement pas. Mais il est impératif qu’en ces circonstances historiques, ils mettent leurs différences personnelles de côté afin de relever les innombrables défis qui les attendent.