Tribune
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Publié le 16 Avril 2013

Traite des êtres humains: sortir de l'immobilisme

 

Par Cécilia Malmström, Commissaire européenne chargée des affaires intérieures

 

Au cours de mon mandat de membre de la Commission européenne, j'ai pu constater un changement notable dans la lutte contre cet esclavage des temps modernes qu'est la traite des êtres humains. Aujourd'hui, nous accordons de l'attention à cette question et nous en débattons réellement, alors qu'il y a encore quelques années, de nombreux responsables politiques de premier plan en Europe faisaient comme si ce problème n'existait pas, ou du moins pas dans leur pays. J'ai entendu dire que seules "certaines femmes" devenaient victimes de la traite des êtres humains, ou que celle-ci ne concernait essentiellement que les pays voisins de l'UE. Depuis, les décideurs européens ont pris conscience de la véritable ampleur de cette forme d'esclavage. Ils ont fini par comprendre que des hommes, des femmes et des enfants sont bel et bien vendus comme des marchandises en Europe et par-delà ses frontières, et qu'une coopération internationale renforcée constitue l'unique moyen de lutter efficacement contre les groupes criminels organisés qui contrôlent ce commerce ignoble.

 

Nous apprenons régulièrement, notamment dans les médias, que la police est intervenue dans un lieu de prostitution clandestin ou encore sur un chantier ou dans une exploitation agricole où vivaient des victimes enfermées chaque soir ou trop effrayées pour tenter de s'échapper. Nous avons observé des signes de la progression des bandes organisées en Europe, parallèlement à l'augmentation de la demande de leurs services liée à l'aggravation de la crise économique.

 

Nous pouvons aujourd'hui affirmer que la situation s'est détériorée. À l'échelle de l'UE, le nombre de victimes avérées ou présumées de la traite des êtres humains a augmenté entre 2009 et 2010, passant de 7 800 à 9 500. Qui plus est, ce chiffre serait largement sous-estimé.

 

En dépit de cette augmentation, seuls quelques pays ont mis en œuvre le nouveau cadre juridique de l'UE, plus sévère, contre la traite des êtres humains, même si celui-ci avait reçu l'assentiment de tous les États membres en 2011. Sur les 27 États membres de l'UE, six seulement ont notifié à la Commission européenne qu'ils avaient entièrement transposé cette nouvelle législation dans leur droit national. Malheureusement, la France ne figure pas parmi ces six pays. Le délai de transposition, qui laissait deux ans aux États membres pour se conformer à la directive, est arrivé à son terme le 6 avril. Il est dès lors grand temps que les États membres sortent de l'immobilisme. Avec la nouvelle législation, tous les tribunaux de l'UE attribueront le même degré de gravité aux infractions liées à la traite des êtres humains, et les États seront tenus d'apporter une aide adéquate aux victimes. La mise en place d'un nouveau cadre législatif a été mon premier grand chantier en tant que membre de la Commission européenne; en effet, les législations divergeaient fortement d'un État membre à l'autre. Dans certains d'entre eux, la traite des êtres humains n'était passible que de très courtes peines de prison. À présent, puisque nous nous sommes mis d'accord pour durcir les sanctions et mieux aider les personnes touchées, il est temps que les États membres agissent.

 

Les décideurs qui éprouvent encore des doutes devraient consulter les statistiques publiées aujourd'hui par la Commission européenne, qui constituent une vue d'ensemble inédite. Ce rapport est constitué de données provenant de différentes autorités de chaque pays (police, ministère public, gardes-frontières, inspection du travail, etc.) et d'organisations de la société civile actives dans l'aide aux victimes. Ses conclusions montrent qu'en Europe, près de sept victimes de la traite des êtres humains sur dix sont des femmes, 17 %, des hommes et 15 %, des enfants. Parmi ces victimes, 61 % sont des ressortissants de pays de l'UE, le plus souvent de la Roumanie et de la Bulgarie, le Nigeria et la Chine étant les pays d'origine hors Union les plus courants. 62 % des victimes sont vendues à des fins d'exploitation sexuelle, 25 % à des fins de travail forcé et 14 % pour d'autres formes d'exploitation, telles que la mendicité forcée ou le prélèvement d'organes.

 

Un autre fait préoccupant qui ressort de ce rapport est le recul du nombre de trafiquants condamnés. En 2008, 1 534 personnes ont été condamnées pour traite des êtres humains en Europe. Deux ans plus tard, ce chiffre avait diminué de près de deux cents condamnations. Selon un nouveau rapport présenté aujourd'hui par la Commission européenne, le nombre de trafiquants condamnés en France a connu un léger recul entre 2008 et 2010, passant de 606 à 577. En revanche, le fait que davantage de victimes originaires de pays tiers ne sont plus simplement renvoyées dans leur pays d'origine représente une lueur d'espoir. Le nombre de titres de séjour délivrés à des victimes de la traite des êtres humains a en effet progressé de 70 % entre 2008 et 2010.

 

Actuellement, des efforts importants sont accomplis au niveau de l'UE pour s'attaquer aux racines du problème. Un nombre croissant d'enquêtes sont menées en commun par les États membres et les organes répressifs de l'UE que sont Europol et Eurojust. Nous concentrons les financements de l'UE sur les recherches visant à déterminer l'impact de la traite des êtres humains sur les victimes les plus vulnérables, notamment les enfants. Dans le courant de cette année, la Commission européenne mettra en place une plate-forme européenne des organisations de la société civile qui œuvrent en faveur des victimes.Il convient, toutefois, de ne pas en rester là. Chaque État membre doit commencer par mettre en œuvre la nouvelle législation de l'UE en matière de lutte contre la traite des êtres humains et considérer les enquêtes et actions en justice dans ce domaine comme une priorité. En cessant ainsi de les ignorer, les États enverraient un signal fort et clair aux victimes.