Tribune
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Publié le 27 Mai 2013

Une France rassemblée et debout

Par Kader Arif, ministre des Anciens combattants et Fred Moore, chancelier de l'Ordre de la Libération

 

Le ministre des Anciens Combattants, Kader Arif, et le dernier chancelier de l'Ordre de la Libération, commémorent la naissance, il y a exactement 70 ans, du Conseil national de la Résistance.

 

Moins de vingt hommes. Un jour de printemps. Voici près de 70 ans, le 27 mai 1943, Jean Moulin présidait la première réunion du Conseil national de la Résistance (CNR). En plein cœur d'un Paris occupé, en plein cœur de la guerre, il scellait l'unification des forces d'un pays qui voulait rester debout. Sous l'autorité du général de Gaulle, mouvements de résistance, partis politiques et syndicats allaient coordonner leurs actions, pour mieux lutter contre la barbarie nazie et ceux qui s'étaient compromis avec elle.

C'est donc une double union française qui est scellée ce jour-là. Union des forces vives d'un pays occupé qui, de gauche ou de droite, de toutes origines et de tous horizons, souhaitent désormais résister ensemble aux forces qui martyrisent la France depuis trois ans. Union également entre la France libre, celle de Londres et des combats de Bir Hakeïm, et la Résistance intérieure, celle du défilé d'Oyonnax, des maquis de Corse, du Vercors et des Glières.

 

Si l'œuvre de libération de la France commence dès le 18 juin 1940, le 27 mai 1943 marque un tournant. Des forces qui s'unissent deviennent plus redoutables pour l'ennemi. Cette unité est surtout le fondement d'une transition réussie vers la liberté, lorsqu'en viendra le jour. En préparant la libération du territoire, en adoptant, dès mars 1944 un programme politique, économique et social, qui inspira en grande partie la République d'après-guerre et la vie démocratique de notre pays, on peut affirmer que les hommes du CNR ont épargné à la France au moment de la défaite nazie des déchirements douloureux. L'unité a permis le redressement. Elle a permis aussi à la France de s'asseoir à la table des vainqueurs.

 

En 2013 et 2014, la France commémorera le 70e anniversaire de la libération de son territoire. En juillet, les Antilles auront rejoint la France libre, en octobre la Corse sera libérée et dans un peu plus d'un an, les deux débarquements ouvriront la voie à la libération de Nantes, de Toulouse et de Paris en août, de Lyon en septembre, et enfin de Strasbourg en novembre.

 

Les jeunes d'aujourd'hui, souvent en quête de repères et d'identité, trouvent dans les témoignages de leurs aînés la force de messages qu'aucun film de cinéma ne peut reproduire

 

En ce mois de mai, souvenons-nous de ce que nous devons à la Résistance intérieure. Ceux qui avaient alors 20 ans en ont 90 aujourd'hui. Ils étaient hier des héros de l'ombre. Parce que la Résistance était synonyme de secret, de discrétion, parce qu'il ne fallait laisser aucune trace, les archives sont parfois rares. Nous en retenons des noms célèbres, des noms de code - Max (Jean Moulin), Brumaire (Pierre Brossolette), Violaine (Jacqueline d'Alincourt), Garnier (Christian Pineau), mais il y a derrière eux des milliers d'anonymes.

 

Ces résistants, qui étaient-ils? Ils étaient divers. Ils étaient la France. Mus par des idéaux profonds, par la fierté d'être français ou par simple sens du devoir, ils ont résisté et résister c'était se battre: imprimer des tracts, cacher des postes de radio, fabriquer de faux papiers, protéger des Juifs, commettre des actes de sabotage ou espionner l'ennemi… Mais résister c'était aussi tracer des croix de Lorraine à la craie sur les murs, susciter l'esprit critique, alerter ses proches, chanter, écrire ou parler autrement. Résister, c'était ne pas se soumettre.

 

Ces résistants, ce sont des centaines de milliers d'hommes, de femmes et parfois même de jeunes adolescents. Ce sont les lycéens de Buffon, fusillés en 1943, ce sont les maquisards de Saint-Marcel en Bretagne, ce sont aussi ceux qui, sans poser de question, ont donné un abri, un peu de nourriture, un renseignement utile, malgré la répression féroce qui aurait pu s'abattre sur eux.

 

Parce qu'elle éclaire aussi sur la nature humaine et sur le rapport de chaque citoyen à son pays et à ses valeurs, cette mémoire est intemporelle. Elle ne doit pas se perdre. La parole des témoins est précieuse. Partout en France ils parlent. Partout en France ils sont écoutés, en particulier par les plus jeunes. Ce dialogue intergénérationnel est aussi un formidable outil de construction du présent, par l'éveil des consciences citoyennes. Les jeunes en particulier, souvent en quête de repères et d'identité, trouvent dans ces témoignages la force de messages qu'aucun film de cinéma ne peut reproduire.

 

Qui mieux qu'un ancien résistant peut susciter l'engagement citoyen, lui qui vivait la peur au quotidien, mais connaissait aussi cette satisfaction intense lorsque son action, si minime soit-elle, élargissait la faille qui s'ouvrait peu à peu dans le régime nazi et le gouvernement collaborationniste? Qui mieux qu'un ancien déporté peut porter un message de paix et de tolérance? Qui mieux qu'un soldat, débarqué sur les plages de Normandie pendant l'été 1944, peut appeler au courage et au dépassement de soi? Qui mieux qu'un résistant corse, un goumier marocain ou un ancien des troupes de choc, libérant ensemble le premier département français, peut parler de la fierté de servir la République française?

 

Les Français sont parfois divisés. Leur mémoire commune peut les rassembler. Les mois qui viennent nous donneront de multiples occasions d'une réappropriation de cette mémoire par nos compatriotes. Souvenons-nous de ce que nous devons à l'esprit d'unité du CNR, à l'esprit de la Libération. Souvenons-nous de ceux à qui nous devons tant, et soyons attentifs à l'exemple qu'ils nous donnent à contempler.