Tribune
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Publié le 7 Février 2013

Une paix est-elle possible en Syrie ?

 

L'organisation d'élections libres a été proposée par Bachar el-Assad et ne semble pas rebuter le Conseil national syrien pour l'instant, bien que les modalités d'organisation divergent toujours.

                                                               

Jean-Marie Quéméner est Rédacteur en chef pour la chaîne d'information ITélé. Il est l'auteur de « Dr Bachar, Mr Assad »

 

Atlantico : Le Conseil national syrien (CNS), organe politique de la rébellion, semble se rallier progressivement à l'engagement de négociations avec le régime de Bashar Al Assad. Cette position inédite de l'opposition peut-elle concrètement déboucher sur une sortie pacifique du conflit au vu des tensions qui subsistent actuellement entre les deux camps ?

 

Jean-Marie Quéméner : Pour l’instant, personne ne s’engage à rien si ce n’est à clamer haut et fort que chacun est prêt à le faire… L’opposition et Bachar el Assad tombent d’accord sur un point : ils ne négocieront pas entre eux. Bachar parce qu’il maintient qu’il ne parlera pas à des « terroristes », Moaz El Khatib parce qu’il fait –en réalité - du départ du premier un préambule à toutes négociations. En revanche, les deux parties draguent dans les mêmes eaux : la Russie. Pour Bachar, il faut coûte que coûte tenir le rempart slave entre lui et une résolution de l’ONU. Pour l’opposition, frustrée de ne pas recevoir plus d’aide de la communauté internationale, il s’agit de contourner l’obstacle russe en lui faisant jouer  - ou lui laisser croire – les médiateurs.

 

Plusieurs soutiens de la rébellion contestent néanmoins ces propos. Les dissensions internes à la rébellion ne risquent-elles pas de tuer toute opportunité d'accalmie dans l’œuf ?

 

Quelle accalmie ? Le nombre de morts vient de passer les 65 000, les réfugiés seraient plus de 600 000… Pour un pays de 24 ou 25 millions de personnes… Un quart de la population (l’équivalent de 16 millions de personnes pour la France !) a dû se déplacer à l’intérieur du pays pour fuir les combats. La rébellion compte – il est vrai – plus de microclimats politico-militaires que la Bretagne n’en dénombre de météorologiques. Le chef de l’opposition doit trouver le plus petit dénominateur commun entre les chefs de clans territoriaux, les chefs de guerre plus ou moins religieux, les baronnies régionales, la lutte armée des « déserteurs » des troupes régulières et le bataillon – bien fourni – des intellectuels et opposants politique. Un travail d’Hercule qui limite sa marge de manœuvre à un seul point : Bachar doit partir. Cette fin étant justifiée par les moyens de chacun.

 

Cette tentative diplomatique peut-elle s'expliquer par l'instauration d'un statu quo sur le terrain entre rebelles et forces du gouvernement ? Peut-on parler d'une lassitude après bientôt deux ans d'affrontement ?

 

Si lassitude il y a, elle émane de la population dont il faut rappeler que plus d’un tiers environ (difficile en ce moment de faire des sondages d’opinion en Syrie…) n’aspire qu’à retrouver la paix. Le prix du pain est passé de l’équivalent de 15 centimes d’euros à plus de deux euros, l’électricité – qui a toujours été capricieuse – se fait rare et les moyens de se chauffer deviennent quasi-inexistants. Les Syriens en ont tout simplement par-dessus la tête de survivre. D’où l’importance grandissante, dans les zones tenues par la rébellion, de l’aide de pays comme le Qatar et l’Arabie Saoudite. Et les vocations qu’elles font naître. Les combattants n’ont pas déposé les armes, quel que soit leur camp. Et ils ne le feront pas. Ils partagent l’absolue conviction (parfaitement fondée) qu’ils jouent là leur survie… stricto sensu.

 

Tous restent définitivement persuadés qu’ils ne peuvent se faire confiance réciproquement : les purges qui suivraient une résolution du conflit risquent d’être d’une violence inouïe…

 

À moyen ou long terme, l'organisation d'élections libres pourrait-elle être une voie de sortie viable pour la Syrie ?

 

Tout le monde est officiellement d’accord : des élections libres mettraient un terme au conflit. Encore faut-il s’entendre sur le terme « élections libres ». Pour un baasiste comme Bachar, le parti unique seul peut les garantir. Les micropartis servant d’opposition acceptable, à condition, bien sûr, qu’on ne veuille pas changer de Raïs. En face, il faudrait « oublier » de récompenser ceux qui ont monté leur propre katiba (phalange) en leur expliquant que la volonté du peuple ne se satisfait pas du clientélisme. Et quel régime mettre en place : une autonomie régionale, un état centralisé ? Et par-dessus tout, qui les organiserait ? Les restes d’une administration étatique construite autour du Baas ? Une nouvelle structure issue de la résistance à Bachar ? Bachar peut tomber, mais pour construire la nouvelle Syrie, les deux camps auront besoin de s’appuyer sur ce qui restera de son régime.