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Il souffle un vent mauvais sur notre pays. Si l’on s’en tient aux événements les plus récents, l’énoncé des faits bruts en atteste. 10 juin, place de la République : un adolescent de 15 ans, porteur d’une kippa et de tsitsith, est violemment agressé par un groupe de jeune qui use de matraques ; 12 juin, RER B, au niveau d’Antony, un frère et sa sœur de retour de l’école, se font insultés – « c’est à cause des Juifs que la crise a lieu et que les gens sont pauvres », « sales Juifs, on va vous gazer, Hitler n’a pas fini son job » – puis sont frappés par des gifles et des coups de pieds ; 14 juin, 18 h 45, synagogue de la rue Julien Lacroix à Paris (20ème arrondissement) : deux motards menacent avec des armes les policiers qui se trouvent alors en faction ; 14 juin, samedi en début de soirée, la cour arrière de la synagogue de Garges-Lès-Gonesse est prise pour cible à partir d’appartements d’immeubles attenants : de grosses pierres, des bâtons et des planches cloutées sont envoyés et manquent de blesser des enfants qui étaient en train de jouer… Par la voix de son Président, Sammy Ghozlan, le BNVCA (Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme) est très alarmé de ce climat qui plonge les Juifs de France dans d’immenses difficultés au quotidien, leur rend la vie impossible dans certains quartiers populaires, et n’hésite pas à parler d’une « réelle psychose au sein de la communauté juive de France. » Mais cet antisémitisme banalisé ne doit pas faire occulter qu’une autre menace est particulièrement prégnante actuellement : le terrorisme. L’attentat de Bruxelles a confirmé les craintes apparues avec la tuerie de Toulouse et a fini par développer une peur nouvelle, celle d’être pris pour cible par des terroristes. Outre l’effet d’enchainement, on se doit également d’observer que les auteurs des actes terroristes font l’objet d’une sorte de glorification par d’autres, qui « s’amusent à se prendre pour » comme le montre clairement l’épisode de la synagogue du 20ème arrondissement. Les Juifs sont visés en tant que Juifs, mais également pour diffuser la peur dans les sociétés européennes. Pour Yonathan Arfi, vice-Président du CRIF, « les Juifs ne sont que la première cible d’une stratégie de déstabilisation des sociétés européennes. » Si les pouvoirs publics semblent avoir pris la mesure de cet enjeu en France – et en Europe d’une façon générale –, il semblerait que l’opinion publique ait encore beaucoup de mal à comprendre que les Juifs ne représentent que le premier étage d’une fusée de la terreur. Il est donc essentiel que les communautés juives se montrent combattives et ne donnent pas le sentiment de ne plus pouvoir se projeter dans l’histoire de France. « Les Juifs de France vont devoir faire face au le terrorisme comme les Israéliens l’ont fait au Proche-Orient » ajoute Yonathan Arfi. D’une certaine façon, il convient de ne pas accepter le terrorisme en continuant à mener une vie normale. Les autorités déploient des dispositifs de sécurité pour rendre cela possible. Au sein même de la communauté juive, il faut louer le travail de la SPCJ (Société de Protection de la Communauté Juive) et demander à chacun de se montrer responsable aux abords des synagogues et des écoles juives. Mais il faut aussi indiquer qu’il n’est pas question de céder un pouce de terrain aux terroristes et aux antisémites. Après l’attentat de la rue Copernic en 1980, le jeune Rabbin Michael Williams avait hurlé devant une caméra : « nous n’avons pas peur ! » Faisons de même aujourd’hui.
Éric Keslassy est l’auteur de Leçons d’introduction à la sociologie (Ellipses, 2014)