Tribune
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Publié le 3 Avril 2013

Vive le franco-judaïsme !

 

Par Stephen Lequet, maître de Conférences à Sciences-Po Paris.

 

À l’heure de la présence de fortes communautés immigrées ou d’origines étrangères relevant souvent de cultures et de religions extra-européennes, ainsi que du réveil de tentations communautaristes et particularistes au sein de nombreux secteurs de la société française, la question de l’intégration est plus que jamais au centre du débat public.

 

Cette actualité conduit à revisiter ce que l’on a nommé le franco-judaïsme, à le percevoir non plus seulement comme un objet de musée, souvent décrié, mais comme un exemple de ce modèle français d’intégration qui n’a pas encore tout à fait dit son dernier mot.

 

Le franco-judaïsme est en effet cette conception du judaïsme français, dominante sous la Troisième République et notamment au sein du rabbinat et des institutions juives de France, qui chercha à théoriser la convergence entre l’essence du judaïsme et celle de la France moderne, entre la mission du peuple d’Israël et le rôle historique de la France, leur vocation commune se trouvant dans ces Droits de l’Homme et du Citoyen proclamés en 1789 et issus du Décalogue.

 

Le patriotisme était ainsi la colonne vertébrale du franco-judaïsme, aux côtés des valeurs religieuses et familiales. Zadoc Kahn, alors Grand Rabbin de Paris avant de l’être de France, prononce ainsi ces fortes paroles dans un sermon de 1876: « …la patrie a d’immenses droits sur nous, et jamais nous ne pouvons nous croire quittes envers elle. Il faut, autant qu’il dépend de nous et en tout temps, concourir à sa prospérité, à sa grandeur, à la sécurité de son existence ; il faut savoir lui sacrifier notre repos, nos biens, notre vie même, quand l’intérêt l’exige ».

 

On sait d’ailleurs combien cet attachement à la Nation se marqua par une participation active aux conflits armés que la France a dû affronter.

 

Cet ardent patriotisme associait naturellement la France à la Révolution française émancipatrice, qui avait fait en 1791 des juifs des citoyens comme les autres, cette Révolution que Isidore Cahen qualifiait ni plus ni moins, en 1880 dans les Archives israélites, de « seconde loi du Sinaï ».

 

Cette « seconde loi », elle traçait un programme exigeant pour ses coreligionnaires pour l’historien Léon Halévy: « Français de patrie et d’institutions, il faut que tous le deviennent aussi de mœurs et de langage ».

 

Cette intégration exigeante était facilitée, pour les théoriciens du franco-judaïsme, par le fait que la France était perçue comme en train de construire une société qui réalisait l’idéal juif, composite de liberté responsable et de justice, de messianisme et d’unité.

 

Et face à l’antisémitisme persistant, connaissant même un sommet lors de l’Affaire Dreyfus, la protection était toujours cherchée dans la voie d’un renforcement de la citoyenneté et de l’action civique des juifs français. Par conséquent, loin de voir dans le renforcement du lien consubstantiel entre la France et le judaïsme français une menace, une remise en cause possible de l’identité juive, ils y percevaient la promesse de l’avenir.

 

Alfred Dreyfus

C’est dire combien la double trahison de Vichy, à l’égard des juifs et de la vocation de la France, les tensions après les inflexions de la politique française à l’égard d’Israël à partir de 1967, le grand malaise des années 2000, ont touché profondément une communauté juive française bimillénaire enracinée et fière de son apport à la Nation française.

 

Ces événements et leurs conséquences obligent naturellement ceux qui croient encore que l’avenir du judaïsme français est en France, c’est évidemment notre cas, à penser à nouveau le franco-judaïsme.

 

Si ses leçons en termes d’intégration par la culture française et l’engagement civique dans l’espace public sont très actuelles, pour les Français juifs comme pour d’autres communautés, d’autres éléments doivent être rénovés. C’est ainsi qu’il lui faut réussir à mieux concevoir que les particularités ne sont pas toujours des particularismes, que les communautés ne sont pas systématiquement communautaristes, que la République une et indivisible est également diverse, que la liberté interdit les identités exclusives et imposées, que l’identité du judaïsme et de la France est précisément dans cet équilibre fragile entre universalisme et différences.

 

S’il y parvient, il détiendra non seulement les clefs de l’avenir pour la communauté juive française, mais également sera une source d’inspiration pour d’autres, fortifiant ainsi l’unité et la cohésion de la Nation.