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C'est par le truchement de mes bons amis de l’UEJF que je me suis décidé; presque par hasard, apprenant lors de leur université d'hiver annuelle, qu'ils préparaient leur voyage. J'ai demandé, au président John Ayoun, l'autorisation d'accompagner un groupe. Acceptation immédiate et fraternelle, à l'image de ce qu'avait été en 2006, l'invitation de son prédécesseur; Ben Abtan, au Rwanda. Je me protégeais ainsi de l'affect par l'intellect, m'inscrivant dans un projet professionnel (un atlas des mémoires génocidaires, qui paraîtra l'an prochain, chez Autrement) et dans un cadre humain collectif et de haut niveau, pour affronter la «bête ». Sans doute avais-je besoin, de cette triple distanciation : ne pas partir seul ; m'entourer de frères ; adopter un regard (au moins un peu) professionnel. L'expérience mena au-delà de mes espérances.
Par orgueil (mal placé ?), je n'aurais pas supporté de m'épancher en public. Je ne le lis pas, et les larmes n'inondèrent jamais plus que les yeux. Par tempérament hélas rancunier, j'aurais dû porter ma haine des bourreaux à incandescence vaine. Cela ne se produisit guère; depuis mon retour d’Auschwitz, je m'efforce seulement de travailler toujours plus et mieux, à la lutte contre la peste négationniste. Enfin et surtout je risquais de passer à côté de la réalité, froide, nécessaire, technique et ennemie des approximations et extrapolations romantiques, celle qu'on doit sans doute aux martyrs. Grâce à Marcello Pezzetti (et à la lecture in situ de l'excellent Guide d'Auschwitz, paru chez Autrement), ma visite d'Auschwitz et de Treblinka releva d'un apprentissage salutaire. Savoir, connaître, voir toucher, où, quand, comment, par quoi précisément la grand-mère de mon père -dont j'avais la photo sur moi- fut assassinée. Fini la vague représentation d'un site symbolisé ad nauseam par les tristement fameuses entrées «Arbeit macht frei » et de Birkenau, l'idée floue d'un lieu de sélection des Juifs, la perception scandaleusement plus floue encore, de l'emplacement des chambres à gaz.
Au centre de tout, il y eut bien entendu, Benjamin Orenstein. Lui savait. Il avait vu, senti, vécu. Il nous offrait le précieux cadeau d'y retourner. Avec lui se déroula sur la Judenramp une stupéfiante reconstitution criminelle questions précises et ciselées - croquis et photos à l'appui- de l'expert Pezzetti ; réponses du témoin et victime Orenstein. À cet instant et durant toute la visite de Birkenau, le voyage prenait sens, intrinsèquement.
Au risque de me répéter, je dirais qu'il n'est sûrement plus pur hommage aux victimes que celui consistant à connaître la réalité de leur martyre, et à la transmettre. Pour m'avoir offert de franchir le pas dans de telles conditions, je serai toujours reconnaissant à John Ayoun et à l'excellent groupe de l'UEJF. Pour cela, et pour l'ami gagné, Benjamin.