La cour d'appel d'Oran a abrité, jeudi 17 novembre 2011 dernier, un nouveau procès pour délit religieux. Siaghi Krimo, un maçon de 29 ans converti au christianisme en 2007, est cité à comparaître pour «injures envers le Prophète». En mai dernier, il a été condamné, en première instance, à cinq années de prison ferme. Dénoncé par un voisin à qui il avait remis un DVD sur la vie du Christ, il a été brutalement arrêté par une escouade de policiers comme un dangereux criminel.
Au commissariat, plusieurs officiers se sont relayés pour interroger le «renégat». «Tu es habité par le démon», hurle l'un d'eux. «Si tu étais mon frère, je te tuerais», menace un autre. Pour le juge du tribunal correctionnel qui a prononcé la sentence, la cause est entendue avant tout débat : quitter l'islam pour une autre religion est un crime. «Tu le regretteras !», dit-il à l'inculpé, qui a revendiqué sa foi chrétienne mais nié toute atteinte à l'islam. En l'absence du témoin délateur et malgré un dossier vide, le tribunal écrit dans son jugement : «Il a nié les faits, mais son apostasie est une présomption de culpabilité.»
Dans un climat d'intolérance exacerbé par des manipulations occultes, la liberté religieuse est devenue un terrain d'affrontements idéologiques. Pour donner des gages de bonne foi aux islamistes, les autorités ont multiplié les agressions contre les chrétiens. Depuis la loi de février 2006 réglementant «les cultes autres que musulman», plusieurs convertis au protestantisme ont été jugés pour « prosélytisme». Le procès de Habiba K., arrêtée en mai 2008 en possession d'une bible, avait ému l'opinion et suscité un large mouvement de solidarité, en Algérie et à l'étranger.
En septembre 2010, deux ouvriers chrétiens étaient jugés pour «atteinte aux préceptes de l'islam» pour avoir mangé durant le jeûne rituel du ramadan. Grâce à la mobilisation des militants des droits de l'homme, dont des musulmans pratiquants, ils ont été relaxés.
Libertés religieuses
Face à «l'inquisition», les modernistes-laïques se mobilisent pour le respect de la liberté de conscience garantie par la Constitution. Au nom de la même Constitution qui proclame «l'islam, religion d'État», les islamo-conservateurs veulent limiter les «libertés occidentales» au profit d'une application plus large de la charia. Entre les deux camps, le pouvoir vogue au gré des rapports de forces et des pressions internationales.
Après une trêve de plusieurs mois, le procès d'Oran inquiète les partisans d'une société plurielle. S'agit-il du zèle de magistrats isolés ? Ou d'un nouveau virage liberticide ? Dopés par le printemps arabe, qui a propulsé les islamistes aux devants de la scène, les chantres de la charia intégrale ont le vent en poupe. Le pouvoir, hanté par sa propre survie, cède à leurs caprices lorsqu'il ne les devance pas. À Alger, des dizaines de bars ont été fermés par l'administration ; de grands restaurants réputés pour la finesse de leurs vins se sont résignés aux breuvages halal.
Jeudi à Oran, en présence de la presse privée qui a dénoncé «l'inquisition», les magistrats de la cour d'appel ont adopté un profil bas. En moins de dix minutes, le procès est ficelé et le verdict mis en délibéré pour le 1er décembre. Sur les bancs du public, une altercation éclate entre des policiers et de jeunes contestataires : dans cette ville réputée pour une ouverture d'esprit peu commune, les agents de l'ordre ont tenté de séparer les filles des garçons au nom «des traditions qui interdisent la mixité»…
Photo (la basilique Notre-Dame d'Afrique à Alger) : D.R.
Source :le Figaro du 24 novembre 2011