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Publié le 28 Janvier 2011

Beate et Serge Klarsfeld : «Mission accomplie»

L' émission « Empreintes » de ce vendredi 28 janvier 2011, consacrée, une fois n'est pas coutume, à un couple pour l'ensemble de son œuvre, retrace le parcours «fou» d'une jeune fille allemande de bonne ­famille et d'un avocat juif d'origine ­roumaine qui entreprirent, au len­demain de la Seconde Guerre mon­diale, une traque périlleuse de par le monde des vrais responsables des ­déportations des Juifs dans les camps d'extermination. Fragments de vie et de philosophie.




Nous allions vous demander si vous considériez aujourd'hui votre mission comme achevée quand trois «affaires» sont venues relancer certaines questions : le livre d'Alexandre Jardin sur son grand-père, la commémoration officielle de Céline et la «responsabilité» de la SNCF dans les déportations.



Il ne faut pas tout mélanger. J'ai dit à Alexandre Jardin qu'il chargeait à tort son grand-père dans Des gens très bien. On dirait qu'il essaie de le grandir en exagérant son rôle dans le livre, où il est présenté comme le «bras droit» de Laval, responsable de la rafle du Vel' d'Hiv'. Mais Laval n'avait pas besoin de cet obscur directeur de cabinet pour mener à bien la rafle, concoctée avec Bousquet et les instances nazies. On n'a pas retrouvé dans les archives la moindre note quant à la participation de Jean Jardin au ­processus exterminateur, ni même une quelconque complicité. Il y a des «dir' cab'» qui n'ont pas la moindre influence. Trois personnages ont dirigé toutes les opérations ayant trait à la question juive: Bousquet, qui en référait à Laval, lequel rendait compte à Pétain. Je m'en tiens à établir les faits sur la foi des documents, des responsabilités ­endossées, des signatures.



Pour Céline, beaucoup d'intellectuels, dont Philippe Sollers, s'indignent de la mise à l'index, réclamée par les fils et filles de déportés de France, d'un grand écrivain…



Il ne s'agit pas de le mettre à l'index, de stigmatiser son édition dans La Pléiade, ni d'empêcher Sollers ou quiconque d'organiser des colloques sur le fameux style célinien, ses points de suspension, sa petite musique, qu'on aime ou qu'on n'aime pas, et dont je ne suis pas sûr que l'importance littéraire ait la même portée que celle de Proust. Il s'agissait de réclamer au gouvernement de ne pas faire figurer dans une plaquette commémorative un homme qui a tout de même écrit des choses ignominieuses, d'un violent antisémitisme - Bagatelles pour un massacre, aujourd'hui sous le coup de la loi, est un véritable appel au meurtre. Ceux qui le défendent disent qu'il reflétait la mentalité de son époque. Mais on oublie que ses écrits ont pris une part active à la chasse aux Juifs sous l'Occupation - durant laquelle il a réédité Bagatelles…, et ont influencé beaucoup de gens…



Le patron de la SNCF, Guillaume Pepy, a-t-il eu raison de présenter des excuses pour le rôle joué par l'entreprise sous l'Occupation?



La SNCF a été injustement attaquée et doit garder la tête haute : il y a eu beaucoup de résistants dans ses rangs. Son président a présenté ses regrets, mais il ne faut pas oublier que le rôle réel de la Société des chemins de fer français s'est borné au transport en province de quelques 35.000 personnes vers Drancy, sous réquisition des autorités allemandes, donc sous la contrainte. Ce sont les préfets, une fois de plus, qui étaient en première ligne; ce n'est pas la SNCF qui est allée démarcher les ­Allemands en leur disant «Nous avons des trains, vous avez des Juifs, faisons de bonnes affaires». Excepté les convois de province dont je viens de parler, tous les autres trains étaient allemands, payés par la Gestapo à une agence ­allemande. On ne peut accuser les ­entreprises de transports réquisitionnées d'avoir volontairement participé à la Shoah. Les quelques Juifs américains qui s'agitent en ce moment font un amalgame, par méconnaissance et par ressentiment contre tout ce qu'ils ­imaginent encore ressortir de l'«État français».



Avez-vous soldé tous vos comptes, y compris avec François Mitterrand?



Mitterrand disait que j'étais son ennemi public numéro un. Il a eu un parcours que l'on peut qualifier d'«honorable», puisqu'il a évolué du pétainisme et du lavalisme à la Résistance. Cela ne l'autorisait pas à détourner le dossier Bousquet de la Haute Cour de justice, par Me Kiejmann interposé. Les gens avouent difficilement qu'ils se sont trompés. Maintenant, l'essentiel de ce que notre génération pouvait faire a été fait. Notre mission est accomplie. Les grands responsables ont été poursuivis, et ne restent que quelques gardiens de camps allemands qui avaient 20 ans à l'époque.



Entretien publié dans le Figaro du 28 janvier 2011



Photo : D.R.
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