Doit-on redouter l’instauration d’un pouvoir islamiste en Libye?
Pour l’instant, il n’y a pas de gouvernement à Tripoli, juste un Premier ministre. Donc, arrêtons de fantasmer. Je connais un peu mieux ce pays, désormais, que les pisse-vinaigre parisiens qui croient que les révolutions se font en un jour : à l’heure où nous parlons, les partisans de la charia ou du retour de la polygamie sont une minorité.
Pourtant, le mot charia a été utilisé par le président du Conseil national de transition (CNT), Moustapha Abdeljalil…
Je connais bien cet homme. Il est, avec Nicolas Sarkozy, l’un des personnages principaux de mon livre. Mais je vous signale juste un détail : s’il a conduit la guerre de libération, s’il est le président de l’autorité de transition, cette autorité n’a, comme son nom l’indique, pas vocation à légiférer sur ce que sera la Libye de demain. Et croyez-moi : il y a, dans ce pays, des hommes et surtout des femmes qui n’ont pas sacrifié tout ce qu’ils ont sacrifié pour passer de la dictature de Kadhafi à une dictature islamiste.
Allez-vous continuer à vous impliquer en Libye?
Oui, bien sûr. Il y a quelques jours, mon ami Hugues Dewavrin est venu me proposer l’idée de créer, à Tripoli ou à Benghazi, l’équivalent du centre André-Malraux qui a été ouvert à Sarajevo après la guerre de Bosnie. Un centre qui défendrait les valeurs de la francophonie mais qui porterait aussi les couleurs de la démocratie. C’est simple. C’est concret. Si j’ai l’occasion de rencontrer à nouveau, dans les semaines qui viennent, le président de la République, je lui en parlerai sûrement.
Dans votre livre, vous évoquez vos rencontres régulières avec Sarkozy tout au long de ce conflit.
Oui. Il y a eu, entre nous deux, une interlocution bizarre, dont je ne suis pas sûr qu’il y ait tellement de précédents. Les principes en étaient simples. On ne parlait de rien d’autre que de la Libye. On savait qu’on cesserait ce rapport après la Libye. Et puis il y avait, de ma part comme, je crois, de la sienne aussi, un parti pris, sur ce dossier libyen toujours, de transparence et de loyauté.
Vous brossez le portrait d’un président pugnace, jamais découragé.
Que vouliez-vous que je fasse? Que je m’oblige à dire le contraire? Que je fasse coller la vérité à mes préjugés? Non. Je l’ai dépeint tel qu’il était. Cet homme, dans cette circonstance, forçait le respect — que cela plaise ou non, c’est ainsi. J’ajoute que se jouait là quelque chose qui dépassait infiniment et sa personne et la mienne et celle des donneurs de leçons : l’Islam et l’Occident, le judaïsme et l’islam, la guerre à l’intérieur de l’islam. C’étaient des rendez-vous majeurs. Qu’on le veuille ou non, il a été au rendez-vous.
Beaucoup d’efforts ont été consentis pour la Libye. En Syrie, la communauté internationale est moins mobilisée. Pourquoi?
Vous avez raison. C’est un scandale. Et je rêve, en effet, d’un autre Sarkozy, ou de Sarkozy lui-même, faisant pour la Syrie martyre ce qui a été fait pour la Libye. Est-ce que le même homme peut faire deux fois la même chose? Est-ce que le Conseil de sécurité peut être l’objet, une deuxième fois, du même kriegspiel diplomatique incroyable? Hélas, je n’en suis pas sûr. Mais que la communauté internationale ait un devoir de protection vis-à-vis des Syriens, c’est certain. Tous les jours, je reçois des appels de démocrates syriens, d’officiers déserteurs, d’exilés, qui appellent au secours. A tous, ici, je dis : patience; il y a une jurisprudence Kadhafi, maintenant; d’une manière ou d’une autre, Bachar al-Assad est le prochain sur la liste…
Après l’aventure libyenne, qu’est-ce qui vous empêche de soutenir Sarkozy pour 2012?
Le fait que je suis de gauche, que j’ai toujours voté pour la gauche, que la gauche est ma famille.
Vous avez soutenu Aubry pendant la primaire PS. Vous n’avez pas d’affinités avec Hollande?
Je ne le connais pas. Mais on ne fait pas de politique avec des sentiments ni même avec des « affinités ».
A-t-il la trempe d’un chef de guerre comme Sarkozy?
Très difficile à dire. Si vous voulez que je réponde sans langue de bois, je dirai même : probablement pas. Et c’est d’ailleurs bien ce qu’il dit quand il nous annonce, lui-même, qu’il sera un président « normal ». Et après? Qu’à la suite d’un président dont je montre qu’il a « le sens de l’histoire tragique » arrive un président plus apaisant, pourquoi pas?
Les plans d’austérité se succèdent en Europe. Angela Merkel explique qu’il faudra dix ans d’efforts pour assainir la situation. Cela vous inquiète?
Ce qui m’inquiète, c’est que les efforts soient « réservés » à ceux qui n’y sont pour rien. Prenez la Grèce. Pourquoi ne fait-on pas payer les banquiers qui ont truqué les comptes de la Grèce? Les dirigeants grecs qui ont maquillé leurs bilans? Les décideurs européens qui ont fermé les yeux sur ces traficotages? Pareil pour ceux qui, pendant des années, ont pratiqué la politique de l’autruche face au gonflement cataclysmique des fameuses dettes souveraines…
Que vous inspirent les dernières révélations sur DSK?
Je suis scandalisé par le voyeurisme et l’obscénité de la presse. Scandalisé par cette atmosphère de chasse à l’homme. Scandalisé par la façon qu’on a, maintenant, de vouloir fabriquer un monstre. Et puis, franchement! DSK n’est plus, que je sache, candidat à la présidence de la République. Alors, en quoi ses SMS nous regardent-ils? Et au nom de quoi nous autorisons-nous à aller fouiller dans sa vie privée et celle de sa femme?
Pour vous, la France va mieux ou plus mal qu’il y a cinq ans?
Mieux. A cause de cette histoire libyenne. C’est très important l’image de soi que peut avoir un peuple. Il y a des gens qui, comme les fripouilles du Front national, sont fiers d’être français quand on jette un immigré dehors. Et puis il y a ceux qui sont fiers d’être français quand on fait l’inverse et qu’on aide un peuple arabe à se libérer. Eh bien, c’est ce que nous venons de faire. Nous, c’est-à-dire une coalition glorieuse et improbable où il y avait Sarkozy; la chef de l’opposition de l’époque, Martine Aubry; des militaires valeureux ; des reporters de guerre et de journalistes. C’est ça la France quand elle se hisse au-dessus d’elle-même, à hauteur de ses vraies valeurs.
Photo : D.R.
Source : le Parisien